L’affaire des viols de Mazan: une plongée dans les ténèbres de la soumission chimique
Publiée le 18 septembre 2021. Par Tiraden, sous licence Wikimedia commons, aucun changement n’est effectué.

L’affaire des viols de Mazan: une plongée dans les ténèbres de la soumission chimique

Dans un supermarché près d’Avignon, Dominique Pélicot fait tranquillement ses courses, une scène ordinaire en apparence. Mais ce jour-là, un agent de sécurité découvre bien plus qu’un acte de voyeurisme. L’homme, retraité, est surpris en train de filmer sous les jupes de trois femmes. Ce qui semblait au départ n’être qu’une infraction mineure, moralement répréhensible, s’est rapidement transformé en une révélation d’une horreur excédant l’imaginable : l’historique criminel d’un des plus grands prédateurs sexuels du 21ᵉ siècle.

Suite aux plaintes des victimes du supermarché et la saisie de son téléphone et de son ordinateur, l’enquête menée par le commissariat de Carpentras s’intensifie rapidement, prenant une tournure cauchemardesque. Les policiers découvrent des milliers de photos et vidéos à caractère pornographique, incluant des documents montrant l’ épouse de Dominique Pélicot, Gisèle, inconsciente et violée par plus de cinquante hommes différents. Les enquêteurs ont également mis la main sur des clichés à connotation sexuelle explicite de ses belles-filles, Aurore et Céline ainsi que de sa propre fille Caroline. Chaque nouvelle révélation plonge davantage les autorités dans l’horreur d’une affaire d’une ampleur initialement insoupçonnée. Alors qu’elle s’attendait à une simple formalité lors de sa convocation au commissariat, Madame Pélicot découvre l’invraisemblable vérité le 2 novembre 2020. Aucune suspicion à l’égard de son mari, qu’elle croyait aimant et présent,  ne laissait présager un tel retournement de situation. Sa vie bascule de manière inimaginable, brisant ainsi l’omerta autour de cinquante ans de vie commune, marqués, en réalité,  par violence inouïe. 

Gisèle Pélicot, 70 ans, est retraitée depuis quelques années dans le village de Mazan, près d’Avignon. Pendant longtemps, elle a souffert de pertes de mémoire inexpliquées et de problèmes gynécologiques auxquels les médecins peinaient à diagnostiquer. Craignant un début précoce de la maladie d‘Alzheimer, elle se trouvait prisonnière d’une angoisse médicale perpétuelle. Ses petits-enfants la retrouvaient souvent en plein milieu de la journée, endormie, dans un état second, impossible à réveiller. Sa fille, quant à elle, avait remarqué que sa mère semblait oublier leurs conversations d’une heure à l’autre, notamment après l’avoir appelée deux fois le même jour et constate qu’elle ne se souvenait déjà plus de leur échange du matin. 

Cependant, la réalité s’est avérée bien plus sombre qu’un simple début d’Alzheimer lorsque Gisèle a découvert les manigances de son mari, dévoilant peu à peu les pièces d’un puzzle sinistre. Ses problèmes de santé ne découlaient pas d’une maladie, mais d’une soumission chimique orchestrée par son époux, qui la droguait à son insu. Chaque matin, il glissait des doses massives d’anxiolytiques dans son café, avançant aussi l’heure des dîners pour y ajouter les mêmes substances. Par ces stratégies répétées, il la maintenait dans un état constant d’inconscience et de fatigue extrême, effaçant sa mémoire et la laissant inerte pendant des heures.

Exploitant cette vulnérabilité, son mari invitait chez eux des hommes de tous horizons—pompiers, journalistes, chômeurs—qui venaient tour à tour la violer et l’insulter, selon les preuves accablantes recueillies par les enquêteurs. Ces hommes étaient contactés via un forum au nom explicite, “À son insu”, ne laissant guère de doute sur la connaissance du contexte des accusés.  

Trois ans plus tard, la cour criminelle du Vaucluse à Avignon ouvre publiquement le procès de Dominique Pélicot,  son ex-mari, ainsi que de ses 50 coaccusés, tous présumés innocents en vertu de  la loi française jusqu’au verdict. Ce procès, prévu pour s’étendre  sur quatre mois, reflète l’ampleur des crimes et la quantité d’auteurs impliqués, ébranlant profondément la société française et internationale.  Marquée par l’usage de la soumission chimique, une arme encore largement méconnue du grand public, cette affaire suscite une onde de choc mêlant indignation et débat. L’ émotion est immense, non seulement en raison de l’atrocité des faits, mais aussi grâce au courage exemplaire de Gisèle Pélicot. Refusant un procès à huis clos, elle espère que “la honte change de camp.” Chaque matin, des militants et des victimes de soumission chimique l’accueillent par des applaudissements, symboles de soutien à son engagement et à sa résilience. Jour après jour, elle partage la salle d’audience avec les hommes qui l’ont violée, les croisant parfois dans les couloirs et rues environnantes, face à face.

L’argumentaire des accusés 

Dominique Pélicot, son ex-mari, a reconnu les faits en présentant des excuses et en invoquant une enfance marquée par des traumatismes comme circonstance atténuante. Il a expliqué avoir subi des violences physiques de la part de son père et avoir été victime de viol à l’âge de 7 ans, suivi d’une autre tentative à 14 ans. Ces expériences douloureuses, selon lui, auraient nourri des fantasmes et des pulsions qu’il se disait incapable de contrôler. Bien qu’il se soit décrit comme un mari attentionné et dévoué, il a admis ne pas comprendre cette facette sombre de sa personnalité. Il a également réaffirmé que les coaccusés savaient parfaitement que Madame Pelicot était inconsciente, réfutant ainsi leurs déclarations d’innocence.

Quant aux coaccusés, certains ont invoqué l’alibi d’un couple libertin, prétendant  que Madame Pélicot avait donné son consentement. Cependant, cet argument a été largement rejeté par les journalistes et les magistrats, étant donné l’état manifeste de soumission chimique de la victime. Ce constat a également été confirmé  par l’organisateur lui-même, qui a corroboré les circonstances des faits.

Sa résignation et sa détermination face aux avocats de la défense, tels que Me Guillaume De Palma, qui ont tenu des propos scandaleux en insinuant qu’il existe différentes “formes” de viol et de degrés de gravité, on fait d’elle un symbole de résistance. On peut notamment citer l’avocate Nadia El Bouroumi, qui a crié sur Gisèle Pélicot, lui prêtant des mœurs légères pour sous-entendre qu’elle aurait pu être consentante. Ce qui a particulièrement scandalisé, c’est son choix de chanter “Wake Me Up Before You Go-Go” sur TikTok, une chanson qui semble en totale dissonance avec le tragique du procès. Cette provocation perçue comme inappropriée a souligné l’insensibilité de certains acteurs dans cette affaire douloureuse. Quant au maire de Mazan, visiblement gêné par l’association de sa ville à cette affaire, il a ajouté maladroitement : “Cela aurait pu être pire, il aurait pu la tuer.” 

La soumission chimique 

En France, l’usage de ces substances ne cesse d’augmenter au fil des années, ayant presque triplé depuis 2020 pour atteindre 2 000 plaintes en 2022. Ce phénomène de soumission chimique est particulièrement inquiétant en raison de sa discrétion et de son usage officieux par des criminels. Ces substances peuvent être administrées sur le long terme, comme dans le cas de Gisèle Pélicot, ou de façon ponctuelle, lors de soirées, en les glissant dans les verres de personnes distraites.

Ce procès révèle un sentiment d’impunité et l’arrogance de cinquante hommes dont les actes, d’une gravité indiscutable, soulèvent de vives préoccupations morales. Leurs arguments de défense sont majoritairement perçus comme abjects. Cette affaire se distingue par plusieurs éléments clés : la durée des abus, l’implication de cinquante hommes face à une seule femme, et l’exploitation systématique et délibérée de sa vulnérabilité. La soumission chimique utilisée à l’insu de la victime soulève aussi des questions fondamentales sur le consentement et la capacité d’une personne à se protéger de tels abus. Plus largement, cette affaire s’inscrit dans un contexte de violences de genre et sexuelles, soulevant des interrogations  sur la construction actuelle de la justice et de la police. Elle met en lumière l’urgence d’un changement profond dans la manière dont les victimes sont perçues, impliquant un accueil empathique et une reconnaissance de la crédibilité de leurs plaintes. Un accompagnement constant des victimes tout au long du processus judiciaire, souvent long et éprouvant, est essentiel pour leur garantir un soutien adéquat et pour restaurer la confiance dans le système judiciaire.

Édité par Sofia Germanos

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