“Nous sommes dans la plus grave crise de ces dernières années,” a récemment déclaré Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie. Selon lui, “les caractéristiques des relations franco-algériennes depuis 1962, c’est l’alternance de périodes de haut et de bas. Mais la différence avec aujourd’hui, c’est que nous sommes dans une crise beaucoup plus forte en intensité. Cette crise s’aggrave de jour en jour et de semaine en semaine”.
En effet, l’Algérie, ancienne colonie française, a obtenu son indépendance au terme d’une guerre sanglante de 1954 à 1962. Près d’un français sur dix a un lien direct avec l’Algérie, et les traumatismes des harkis et des pieds noirs sont encore frais dans la mémoire collective. Les relations franco-algériennes, historiquement cycliques, oscillent successivement entre le chaud et le froid.
Cependant, ces derniers mois, les tensions ont été exacerbées, mais alors, quelles sont donc les racines profondes de cette crise sans précédent?
Parmi les facteurs majeurs, deux événements récents se distinguent: l’arrestation d’influenceurs, algériens ou franco-algériens, ainsi que celle de l’écrivain Boualem Sansal.
En janvier 2025, trois influenceurs, de nationalité algérienne, ou franco-algérienne, ont été arrêtés dans l’Hexagone après avoir diffusé des vidéos sur leurs réseaux sociaux incitant à commettre des violences et des viols contre ceux qui critiquent le régime algérien. Le premier a été interpellé et est en attente de son procés le 24 février pour “apologie d’acte de terrorisme”. Le deuxième qui faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, a été jugé en comparution immédiate le lundi 6 janvier pour “provocation directe à un acte de terrorisme”. Le dernier a été également arrêté, et les autorités envisagent de lui retirer son titre de séjour et d’émettre à son encontre une obligation de quitter le territoire.
De plus, l’arrestation de Boualem Sansal, écrivain franco-algerien de 80 ans, a également suscité une vive controverse. Arrêté à l’aéroport d’Alger mi-novembre, l’auteur de “2084 : la fin du monde” est accusé d’acte terroriste visant à la sécurité de l’Etat, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions. Selon des informations du Monde, le pouvoir algérien aurait été offensé par les déclarations de M. Sansal dans un entretien avec le média français d’extrême droite “Frontières”, où il soutenait la position marocaine affirmant que son territoire avait été tronqué au profit de l’Algérie durant la colonisation française. La réaction du président français, Emmanuel Macron, a suscité la colère de son homologue algérien lorsqu’il a demandé la libération immédiate de l’écrivain, jugeant que cette détention portait atteinte à l’honneur de l’Algérie. Ces déclarations ont été qualifiées “d’inacceptables” par la diplomatie algérienne, qui les a également dénoncées comme “une immixtion éhontée et inacceptable dans les affaires internes du pays”.
Afin de saisir les racines des récents refroidissements dans les relations franco-algériennes, il est nécessaire de se tourner vers une rivalité plus lointaine et par conséquent vers un pays tiers clé: le Maroc.
L’été 2024 a constitué un véritable tournant, car Emmanuel Macron a rédigé une lettre adressée au roi Mohammed VI, dans laquelle le président affirmait que l’avenir du Sahara occidental devrait s’inscrire “dans le cadre de la souveraineté marocaine”. Cette prise de position a provoqué une rupture de confiance notable avec l’Algérie, qui a réagi en rappelant son ambassadeur à Paris, Saïd Moussi.
Le Sahara Occidental, est classé comme un “territoire non autonome” par l’ONU depuis son évacuation par l’Espagne en 1975, est situé à la frontière sud-ouest du Maroc avec la Mauritanie. Depuis plus d’un demi-siècle, un conflit y fait rage, opposant le Maroc au Front Polisario (composé d’indépendantistes soutenus par l’Algérie). Mais alors pourquoi la France se tourne-t-elle vers Rabat au détriment d’Alger vis-à-vis de la question Sahraoui?
Cette déclaration française s’aligne sur les positions de plusieurs pays européens, qui avant la France, avaient manifesté leur soutien officiel à Rabat concernant la question, notamment les Pays-Bas, l’Espagne, et plus récemment l’Allemagne. En juin 2024, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, avait même déclaré que son pays considérait le plan d’autonomie marocain comme “une bonne base et un très bon fondement pour le règlement définitif” du conflit autour du Sahara occidental.
Cette position indique que le Maroc dispose actuellement d’une longueur d’avance dans cette bataille diplomatique; bénéficiant d’un soutien croissant sur la scène internationale et surpassant en nombre et en influence les États qui reconnaissent la République Sahraouie. La France, suivant l’exemple des États-Unis qui ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental en 2020, s’inscrit dans une dynamique similaire.
Néanmoins, selon le journaliste Frédéric Bobin, cette orientation stratégique n’est pas sans conséquences sur la relation triangulaire complexe Algérie-Maroc-France. Bien que le Quai d’Orsay prétende que sa diplomatie maghrébine ne relève pas d’un jeu à somme nul, où réchauffer Rabat signifie refroidir Alger, mais de facto, il semble que ce soit le cas. De plus, la question du Sahara Occidental est également un enjeu de politique intérieure française, où la droite et l’extrême droite ont exercé une pression constante sur le président Macron pour qu’il “rééquilibre” une politique maghrébine jugée trop favorable à l’Algérie.
Initialement ce dernier avait lancé un projet dirigé par l’historien Benjamin Stora, visant à apaiser les tensions mémorielles et à reconnaître les contentieux historiques liés à la colonisation française en Algérie. Toutefois, l’alignement stratégique de la France sur la position marocaine concernant le Sahara Occidental ne se limite pas seulement à des déclarations diplomatiques, c’est également un soutien concret au développement économique de la région. Macron a notamment déclaré que “nos entreprises accompagneront le développement de ces territoires au travers d’investissements”.
La France a donc pour objectif de soutenir la croissance économique de la région tout en consolidant les liens commerciaux avec le Maroc. Cependant, cet engagement se heurte à des obstacles juridiques majeurs, notamment le non-respect des principes de décolonisation et de la législation internationale qui prohibe toute forme de commerce dans des territoires sous occupation marocaine. Malgré ces contraintes, le secteur privé français ne semble pas être freiné et plusieurs entreprises, actives dans des secteurs comme l’énergie, les infrastructures et la technologie, sont déjà implantées dans la région et pourraient être incitées à renforcer leur présence au Sahara Occidental.
Les relations franco-algériennes traversent actuellement une crise d’une intensité inédite, alimentée par des tensions diplomatiques aiguës, des arrestations controversées et une redéfinition stratégique de la position française vis-à-vis du Maroc. L’héritage de la colonisation, les rivalités géopolitiques régionales, les dynamiques politiques internes fluctuantes et les enjeux économiques continuent de perpétuer un cycle alternant détente et discorde entre les deux nations. En conclusion, tant que ces facteurs structurels resteront irrésolus, la relation entre Paris et Alger demeurera empreinte d’une profonde instabilité chronique.
Édité par Sofia Germanos.
Cet article a été écrit par un membre de l’équipe rédactionnelle. Catalyst est une plateforme dirigée par des étudiants qui favorise l’engagement avec les enjeux mondiaux dans une perspective d’apprentissage. Les opinions exprimées ci-dessus ne reflètent pas nécessairement les points de vue de la publication.