Conférence et Entrevue avec Dr. Béland:  Le Canada, un exemple idyllique pour l’accueil des migrants économiques: un mythe ou une réalité?

Conférence et Entrevue avec Dr. Béland: Le Canada, un exemple idyllique pour l’accueil des migrants économiques: un mythe ou une réalité?

L’Institut d’études canadiennes de McGill (IECM) a organisé sa conférence annuelle le 27 et 28 octobre 2022. Cette année, des praticiens et académiciens se sont rassemblés afin d’aborder la comparaison des politiques d’immigration au Canada avec l’Europe, les États-Unis, et la situation particulière au Québec. Dr Béland, directeur de l’IECM et professeur distingué de James McGill en sciences politiques, a organisé la conférence avec son équipe et des co-organisateurs. La section de la conférence sur le Canada et plus particulièrement la table ronde traitait sur les défis de l’héritage discriminatoire en raison du statut socio-économique, de l’origine ethnique et de la race. La modératrice et professeure Mireille Paquet animait le débat entre Jennifer Elrick, Ethel Tungohan, Anna Triandafyllidou et Daniel Hiebert. À l’international, le Canada a la réputation d’être une terre d’accueil idyllique et inclusive. En réalité, le pays n’est pas toujours exemplaire et conserve un système sélectif incluant certaines formes d’exclusion raciale et socio-économique.

D’après Statistique Canada, le pays figure parmi les pays acceptant le plus de migrants. En effet, le Canada compte accueillir 500 000 immigrants par année d’ici 2025. Dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre sur le marché du travail et d’une population vieillissante, le pays favorise l’immigration internationale en masse. Ainsi, le plan d’immigration économique est un véritable outil pour répondre aux besoins de main-d’œuvre. Cependant, d’après les intervenants, l’immigration ne résoudrait pas l’enjeu démographique de sa structure vieillissante, mais a seulement la capacité d’augmenter la taille de la population. Les politiques ont aussi permis d’augmenter la diversité ethnoculturelle et raciale parmi les migrants économiques. Les intervenants ont cependant tous reconnu le racisme et la discrimination systémique dans l’histoire de l’immigration au Canada. Comment peut-on passer d’un système raciste et exclusif à un système non discriminatoire et universel? Comment est-ce que cette histoire affecte les politiques aujourd’hui?

Avant les années 1970, les immigrants arrivant au Canada venaient principalement des pays européens, notamment le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas. Aujourd’hui, les dix premières origines montrent le progrès quant à l’ouverture du pays à l’immigration venant des quatre coins du monde. La part des immigrants nés en Europe continue de décroitre depuis 1967, tandis que l’Asie est devenue la principale source d’immigrants. L’ouverture du profil de l’immigration peut s’expliquer par l’adoption d’un système universel en 1967, qui établit de nouvelles normes d’évaluation des candidats et abolit les exigences basées sur le pays d’origine et la race. L’élimination de l’obstacle de la race et de la nationalité a permis un accueil croissant de minorités visibles aux compétences élevées au Canada. Depuis 1981, la proportion des minorités visibles est passée de 6.3% en 1981, à 22.3% en 2016. 

Cependant, l’accent mis par les politiques migratoires sur la main-d’œuvre qualifiée montre qu’un racisme subtil persiste. Les politiques migratoires excluent certains migrants en fonction des critères basés sur la classe sociale, la situation économique, et le niveau linguistique. L’exclusion socio-économique a lieu à plusieurs niveaux: pour rentrer, s’intégrer, et rester définitivement au Canada. La compétition pour le talent dans le monde, encourage la « fuite des cerveaux » vers des pays comme le Canada.

À l’entrée tout d’abord, les individus hautement qualifiés venant des pays du Sud sont encouragés à immigrer vers le Canada. Les travailleurs moins qualifiés et éduqués ont plus de difficulté à entrer au Canada à cause de l’exigence de certains critères tels que les compétences linguistiques. Les demandes sont refusées à toute personne n’atteignant pas le score minimal de sept au test d’anglais, approuvée par un test comme l’International English Language Testing System (IELTS) par un score minimal de sept. L’académicienne Ethel Tungohan a notamment adressé la barrière majeure et démesurée que cause ce seuil minimal pour des métiers qui ne nécessite pas un tel niveau pour travailler, comme les aides-soignants. La fin de cet obstacle pendant la pandémie du COVID-19 démontrerait l’efficacité de l’implémentation d’une sélection plus facile pour les travailleurs essentiels. La barrière linguistique rend aussi plus complexe le processus d’intégration des nouveaux arrivants. Au Québec, la préservation de la langue française est au cœur des préoccupations du discours politique. Le nom du ministère MIFI, signifiant le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, met clairement en évidence l’association directe de l’intégration avec le français.

Depuis les années 2000, la transition vers un système migratoire en deux étapes ou plus augmente davantage les barrières pour obtenir la résidence permanente. En effet, dans un système à deux étapes, les migrants économiques ont d’abord un statut temporaire, puis doivent être sélectionnés par le gouvernement pour obtenir un statut permanent.  Les individus hautement qualifiés venant des pays du Sud peuvent affronter les enjeux de leur statut précaire en raison de leurs hauts revenus. A contrario, Dr Béland souligna la précarité et l’anxiété dans laquelle les résidents temporaires « peu qualifiés » vivent tandis que les abus des employeurs se multiplient envers les travailleurs agricoles et domestiques. Le travailleur migrant est dépendant de son employeur, car son visa temporaire est lié à un contrat de travail avec un employeur précis et pour une tâche particulière.  La perte de son travail implique son expulsion du Canada d’où le risque accru d’abus. Ainsi, les travailleurs étrangers temporaires seraient plus vulnérables aux abus et à l’exploitation venant de leur employeur. La dépendance est d’autant plus accentuée par l’attribution d’un rôle majeur à l’employeur dans la sélection et l’évaluation des qualités des migrants pour l’obtention de la résidence permanente. Ainsi, le statut socio-économique a des répercussions sur la mobilité et la stabilité des migrants au Canada.

Finalement, les proportions d’entrées et d’admissions à la résidence permanente en fonction de la catégorie des migrants renforcent l’argument de l’exclusion de certaines formes de migration. Les immigrants économiques sont les plus représentés parmi les immigrants au Canada. Les immigrants parrainés par la famille et les réfugiés sont les catégories les plus sous-représentées parmi les immigrants avec un statut de résidence permanente au Canada. Ainsi, les chiffres ne sont pas une mesure suffisante pour montrer l’exclusion de certaines formes de migrations et les différences d’ouverture en fonction des états au sein du pays.

La table ronde se clôtura par plusieurs propositions formulées par les intervenants pour améliorer l’impartialité des politiques migratoires du Canada. Lors de la présentation, Ratna Omidvar suggéra la revalorisation des migrants dits « peu qualifiés » sous le nom de travailleurs essentiels. Cela garantirait le respect des droits humains et des normes du travail aux migrants étrangers temporaires. Selon la professeure Elrick, la réévaluation des migrants doit s’accompagner d’une meilleure rémunération. Plusieurs intervenants soutiennent également le retour vers un système qui favorise la résidence permanente. Ainsi, la réduction des étapes pour l’intégration des migrants permettrait de mieux gérer la demande massive de migration. Enfin, puisque l’immigration universelle et non discriminatoire est un défi mondial, la collaboration du Canada avec des pays qui ont implémenté des politiques inclusives serait nécessaire.

Édité par Lauren Kandalaft 



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