Depuis l’assassinat du président Haïtien Jovenel Moise le 7 juillet 2022, le gouvernement non-élu du premier ministre Ariel Henry réclame une intervention militaire étrangère pour lutter contre les gangs armés. Cependant, la population s’oppose à cette intervention par peur que cela n’aggrave la dépendance à l’aide internationale et fragilise la souveraineté d’ Haïti au profit des intérêts économiques des puissances étrangères. Ainsi, un rappel de l’histoire des interventions militaires à répétition sur le sol Haïtien s’impose afin de montrer qu’elles ont provoqué et empirer la crise humanitaire et politique actuelle.
Depuis près d’un siècle, Haïti est considéré comme le pays le plus pauvre d’Amérique Latine et des Caraïbes, alors qu’il était nommé la “Perle des Antilles” pendant la colonisation. La misère persistante que le pays endure est souvent mise sur le compte d’un État défaillant, d’une corruption endémique et de multiples catastrophes naturelles. Cependant, la situation est en très grande partie le résultat d’interventions extérieures. En 1804, au terme de la victoire de la révolte d’esclaves contre les armées napoléoniennes, Haïti déclare son indépendance. Bien que ce soit le premier pays à obtenir son indépendance dans la région, le pays a continué à subir de nombreuses invasions et occupations. Ainsi, Haïti ne semble avoir rarement, voire jamais, été autorisé à gérer ses propres affaires.
Après son indépendance de la France, s’installe le néocolonialisme, c’est à dire la continuation de la domination économique et culturelle d’une ancienne puissance coloniale vis-à-vis de son ancienne colonie, dans ce cas de la France vis-à-vis de Haïti. En 1825, vingt et un an après son indépendance, Charles X menace de déclarer la guerre si Haïti ne verse pas une indemnité de 150 millions de francs-or afin de dédommager les anciens colons. La somme requise dépasse de loin les moyens financiers du pays, ruiné par des années de guerre.Haïti est donc obligé d’emprunter auprès de banques françaises puis étasuniennes, à partir de son occupation en 1915, afin de régler la “dette de l’indépendance”. Ce n’est seulement en 1950 que le pays termina de rembourser sa dette avec intérêts ce qui a plongé le pays dans une dette économique profonde empêchant son développement pendant plus d’un siècle.
Jusqu’en 1934, les Etats-Unis, sous la présidence de Woodrow Wilson, dirigent d’une main de fer Haïti dans le cadre d’une stratégie régionale de contrôle de la zone des Caraïbes et d’Amérique centrale. Ils présentent l’invasion comme une nécessité de défense de la souveraineté haïtienne, sous prétexte de la forte instabilité sociale, économique et politique dans le pays. Ils dissoudront le parlement, contrôlent les finances pendant plus de 30 ans, mettant un président pantin, et massacrèrent des milliers de Haïtiens. Les archives financières révèlent que c’était sous la pression de la National City Bank of New York, l’ancêtre de Citigroup, que les Les États-Unis ont envahi Haïti. A leur départ, le pays plongea davantage dans la pauvreté alors que le National City Bank affirme avoir fait l’une de ses plus grandes marges des années 1920 sur le contrôle de la dette d’Haïti.
Durant la Guerre Froide, les États Unis ont soutenu l’accès au pouvoir du dictateur François Duvalier dit “Papa Doc” afin de lutter contre le communisme. En effet, les appuis budgétaires et militaires des Etats-Unis permirent à Duvalier d’installer sa dictature et sa violence d’État appuyée sur la milice paramilitaire connue sous le nom de “tontons macoutes”. Il s’agit de l’une des armées les plus brutales de l’hémisphère. La tyrannie des tontons macoutes sur le territoire leur permit d’abuser des droits humains et de tuer des milliers d’innocents haïtiens. Washington continue de supporter la dictature afin de limiter la propagation du communisme. Après la mort de Papa Doc en 1971, son fils Jean-Claude, dit “Baby Doc” prit le pouvoir et poursuivit la forte répression et corruption héritée du gouvernement de son père.
Alors que le mouvement démocratique prenait de l’ampleur, l’administration de Reagan s’arrange pour que Baby Doc soit exilé en France en 1986. Les États Unis affirmèrent leur néocolonialisme économique et politique sur Haïti à travers la création du Conseil National de Gouvernement (CNG) de 1986 à 1988. Il mit en pratique les politiques économiques néolibérales de Friedman tels qu’un système de change flottant, c’est-à-dire laisser le cours des monnaies se fixer librement.
Bill et Hillary Clinton ont notamment été au centre de l’agencement de l’aide financière étrangère en Haïti et de la propagation d’une approche néolibérale à l’aide humanitaire. Pendant que Bill était président dans les années 1990, il a notamment forcé Haïti à baisser les taxes sur le riz importé des États Unis ce qui a complètement détruit la structure agricole. En 2009, Bill a été nommé émissaire spécial de l’ONU pour l’Haïti, chargé de l’aide humanitaire, tandis que Hillary était la secrétaire d’État jusqu’à 2013.Leurs nombreux projets humanitaires en Haïti à travers de la Fondation Clinton s’appuie sur le développement du secteur privé et de l’économie haïtienne par augmenter les échanges avec des multinationales. L’organisation caritative mélange succès et scandales. Plusieurs échecs d’implémentation de projets tels que l’abandon de la construction d’un hôpital avec les millions de dollars recueillis, mais aussi les rumeurs de contrats reçus par des compagnies en échange de dons alimentent les accusations de corruption. Dans les dernières années, les critiques concernant les faiblesses des normes éthiques des Clinton afin de faire bénéficier les élites politiques et économiques au profit de la population haïtienne.
Aujourd’hui, bien que l’influence des États Unis par le biais d’aides financières reste dominante en Haïti, d’autres pays comme la France mais aussi des institutions internationales et non gouvernementales intensifient leurs interventions et participent aussi à la multiplication des désastres. D’après World Bank, il y aurait eu près de 10 000 ONG actives en 2010, si bien qu’ Haïti a été surnommée “la République des ONG”. Selon Bill Clinton, l’ancien envoyé spécial des Nations Unies, Haïti a le deuxième nombre le plus important d’ONG dans le monde. Même si de nombreuses organisations ont joué un rôle important dans les secteurs de la santé, de l’éducation, et du logement, la catastrophe humanitaire n’a fait qu’accroître la dépendance d’Haïti à l’aide internationale. Le terrible séisme de 2010 qui a dévasté Haïti a souligné le rôle fondamental des ONG mais a aussi soulevé des préoccupations par rapport à leur légitimité de substitution au gouvernement en agissant sur des politiques de développement. La réponse à cette catastrophe fait partie des efforts humanitaires les plus importants de l’histoire. Les Nations Unies avaient annoncé qu’au total 13 milliards de dollars seraient collectés pour la reconstruction de Haïti. Cependant, deux ans après le séisme, moins de la moitié a été versée. La grande majorité de l’argent est allée à des organisations non gouvernementales, tandis que le gouvernement a reçu 10% des fonds pour la reconstruction. En effet, par peur de corruption de l’État haïtien, les donneurs étrangers ont tendance à financer des projets par le biais d’ ONG. Par manque de financement, le gouvernement a peu de chance d’être apte à protéger sa population sans la tutelle de la communauté internationale. Ainsi, la responsabilité des ONG par rapport à l’aide humanitaire crée un “état parallèle” contribuant à la faiblesse des institutions du gouvernement Haïtien. En effet, 80% des écoles et 90% des cliniques médicales sont dirigés par des ONG. De plus, de nombreuses décisions sont prises au sein des agences des Nations Unies en anglais ce qui contribue à l’exclusion des haïtiens dans la reconstruction de leur propre pays.
Edité par Jo-Esther Abou Haidar
Solène Mouchel is in her second year at McGill University, currently pursuing a double major in Political Science and International development with a minor in Hispanic Studies. She is a staff writer for Catalyst who is particularly interested in environmental and development issues in Latin America.