En 1977, la loi 101, ou la Charte de la langue française, est adoptée afin de désigner le français comme la langue officielle de l’État québécois. Toujours reconnue aujourd’hui, celle-ci prescrit les activités d’enseignement, de travail et de communications à être réalisées principalement dans la langue française malgré la reconnaissance de l’anglais à l’échelle nationale. Plus précisément, depuis son instauration, la loi 101 oblige les anglophones et les allophones, incluant les enfants issus de l’immigration, à fréquenter des écoles primaires et secondaires en français, excepté si l’un de leurs parents a étudié en anglais au Canada. Cette obligation a conséquemment provoqué une grande majorité de nouveaux arrivants Québécois à étudier dans des écoles francophones, les dénommant alors « les enfants de la loi 101 ». Seulement, bien que la plupart des débats et des révoltes suivant l’instauration de la loi ont éclos dans le but de dénoncer les efforts de préserver le français et d’encourager son utilisation comme étant discriminatoires envers les anglophones du Québec, celle-ci discrimine simultanément les allophones dans la province et leur inflige une crise identitaire importante.
Étroitement liée à la Révolution tranquille, la Charte de la langue française a été instaurée dans le but de revendiquer les droits des Canadiens français et d’affirmer leur identité québécoise. En effet, dans les années 1960 et 1970, le Québec a connu une grave crise linguistique alors que l’anglicisation des enfants issus de l’immigration menaçait considérablement la place fondamentale qu’occupe le français dans la province. Cette liberté de choisir la langue d’instruction, qui fut majoritairement utilisée pour obtenir une éducation anglophone, a alors été interprétée comme un rejet de la communauté québécoise, du français et de sa culture. Par exemple, en 1971-1972, plus de 85,4% des élèves allophones au Québec fréquentaient une école de langue anglaise. Par conséquent, la loi 101 a vu le jour afin de rétablir la place du français dans une société québécoise faisant face aux pressions linguistiques et culturelles de l’immigration.
Depuis son instauration, la loi 101 a connu énormément de succès quant à protéger et encourager l’utilisation de la langue française au Québec. Des données datant de 2012 nous démontrent d’ailleurs, qu’aujourd’hui, plus de 87,5% des néo-Québécois allophones fréquentent des écoles francophones, une tendance inverse depuis celle des années 1970. Bien qu’elle soit controversée, la loi 101 a, non seulement contribué à la préservation de la langue française, mais a aussi défini une identité commune aux Québécois axée sur le français. Contrairement au multiculturalisme canadien qui prône la coexistence des cultures, le Québec emploie d’ailleurs une approche interculturelle à l’intégration immigrante, notamment appuyée par la Charte de la langue française. L’interculturalisme québécois vise à intégrer les nouveaux arrivants à l’identité québécoise à travers la francisation et la laïcité afin d’instaurer une réelle égalité entre les diverses cultures. Plutôt qu’échouer à reconnaître la francophonie comme étant inhérente à l’identité canadienne comme le multiculturalisme, le modèle québécois de l’interculturalisme affirme l’importance de la langue française dans l’identité québécoise et promeut son apprentissage pour intégrer les immigrants à la société québécoise avec succès.
Or, en tentant de renforcer l’identité québécoise, incontestablement liée à la langue française, la loi 101 a engendré une crise identitaire importante au sein des enfants de la loi 101 jusqu’à ce jour. La plupart d’entre eux ne se considèrent d’ailleurs pas Québécois étant donné leur manque d’appartenance au profil du Québécois traditionnel. Souvent mesurée selon deux critères, la couleur de peau et l’accent en français, l’identité québécoise est généralement définie comme appartenant aux personnes de couleur blanche et parlant français avec un accent québécois. Alors que ces critères d’identité étaient parfaitement représentatifs de la société québécoise au 19e siècle, ceux-ci ne définissent plus les Québécois d’aujourd’hui. En effet, bien qu’auparavant, la quasi-intégralité des Québécois étaient Canadiens français, blanc, prolétaire et catholique, les Québécois de nos jours ne sont ni spécialement francophone, blanc ou adhérant à une religion commune. Cette conception étroite et dépassée de la culture québécoise empêche plusieurs Québécois issus de l’immigration de s’identifier à l’identité québécoise compte tenu de leur ethnie, de leur langue maternelle ou de leur religion. De même que certains Québécois, dit « pure laine », leur refusent d’appartenir à la société québécoise à travers multiples microagressions telles que des suppositions sur leur lieu de naissance et de leur manque de connaissances au sujet de la culture du Québec. L’identité québécoise, caractérisée par la loi 101, est donc insuffisamment inclusive. En effet, celle-ci ne reconnaît toujours pas la pluralité des cultures et des langues de la nouvelle génération de Québécois. La loi 101, qui vise à préserver le français au Québec, suffit-elle réellement?
De plus, la Charte de la langue française implique des défis de socialisation entre les allophones et francophones du Québec. Les enfants de la loi 101 affirment que leurs interactions avec les francophones québécois dans leurs écoles de langue française, réglementées par la loi 101, sont définies par des frontières intergroupes. Dans plusieurs établissements scolaires, il existe une distinction flagrante avec les Québécois « de souche » et les immigrants qui incitent les jeunes à former des sous-groupes et limiter leurs contacts avec les membres du groupe opposé. Compte tenu des barrières de langues importantes entre les deux communautés, il est primordial de promouvoir la mixité dans les établissements scolaires. Plus particulièrement, il est nécessaire d’inculquer aux jeunes du Québec la tolérance des différentes cultures dans un contexte académique, soit à travers des cours, des conférences ou des événements culturels. En conséquence, ces initiatives pourront potentiellement remédier à cette problématique et permettre le vivre-ensemble des Québécois, peu importe leurs origines.
La loi 101 impose aussi des limites inéquitables envers les enfants de la 101. Marco Calliari, chanteur italo-québécois et enfant de la loi 101, nous a d’ailleurs expliqué les difficultés causées par la Charte de la langue française qu’il a personnellement rencontré. Ayant grandi dans le quartier de Saint-Michel, à Montréal, Calliari a côtoyé des personnes issues d’une panoplie de cultures dès son plus jeune âge, dont des Chiliens, des Libanais et des Vietnamiens. Son enfance parmi ces différentes ethnies lui a inculqué une facilité de métisser et d’apprécier plusieurs cultures dans sa musique, particulièrement les cultures italiennes et québécoises. De ce fait, à la suite de son expérience musicale dans le heavy metal québécois et d’un voyage en Italie où il a pu reconnecter avec ses racines italiennes, Calliari s’est reconverti dans la musique italienne en sortant divers albums en italien à travers sa carrière. Seulement, cette reconversion a été compliquée à assumer au Québec, où la loi 101 règne au désavantage des autres langues. Malgré son appréciation pour la culture québécoise, notamment dans ses chansons où Calliari traduit des chansons de folklore québécois en italien, celui-ci a moins d’opportunités de passer à la radio, car, selon le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), seulement 35% du contenu hebdomadaire diffusé par les stations de radio francophones peut être dans une autre langue que le français. Étant donné que cette autorisation est généralement utilisée pour diffuser des chansons en anglais afin de satisfaire un public majoritairement anglophone qu’italien au Québec, la musique de Calliari passe très peu souvent à la radio. Il ne peut, non plus, obtenir de subventions pour financer sa carrière musicale puisque la plupart des programmes d’aide financière offerts pour les activités musicales ont des critères d’éligibilité liés à la langue. La réalité vécue par Calliari est un réel dommage collatéral de cette loi puisque la langue italienne ne menace absolument pas le français au Québec.
Marco Calliari et des milliers d’autres Québécois, dénommés les « enfants de la loi 101 » nous démontrent particulièrement les conséquences de la Charte de la langue française. Comme la loi 101 est loin de disparaître, subissant des réformes plus strictes et succédé par le nouveau projet de loi 96, des initiatives doivent être adoptées pour surmonter les défis qu’elle implique pour de nombreux allophones dans la province. En particulier, il est primordial de définir une identité québécoise prenant compte de la réalité multiculturelle du Québec. L’identité québécoise doit notamment inclure toute la jeunesse québécoise et la diversité d’ethnies, de races, de langues et de religions qu’elle englobe. Une identité québécoise commune et inclusive pourra remédier à la crise identitaire éprouvée par les enfants de la loi 101 peinant à se reconnaître dans la définition actuelle du Québécois et permettre des relations plus harmonieuses entre allophones et Québécois français.
Edité par Augustin Bilaine
Lauren Kandalaft is in her third year at McGill University, where she is pursuing a major in International Development and minors in Communication Studies and Social Entrepreneurship. After being an editor and writer for Catalyst’s Francophone Section for a year, she is now the Francophone Section Director and oversees all articles written in French on Catalyst. Her main interests include migrants’ rights, economic development, and diplomacy.