Cet article retrace l’histoire de l’instabilité politique en République Démocratique du Congo (RDC) depuis l’assassinat de Patrice Lumumba en 1961. Le conflit qui ravage le pays aujourd’hui s’inscrit dans un contexte historique plus large, décrit dans le livre The Congo: Plunder and Resistance de Dave Renton, David Seddon et Leo Zeilig, 2007, sur lequel s’appuie l’article.
L’instabilité politique actuelle en RDC remonte aux années 1960 avec l’assassinat de son nouveau premier ministre de l’époque, Patrice Lumumba, défenseur d’un régime démocratique radical dans ce pays nouvellement indépendant. Avec la complicité des États-Unis, de la Belgique, et de l’ONU, ce dernier est capturé par les troupes du général Mobutu le 1er décembre 1960 et sera exécuté par des séparatistes katangais le 17 janvier 1961, alors que son appel à l’aide fut rejeté par les troupes de l’ONU, sous l’ordre de New York. Cet acte suivait le premier coup d’État du général Joseph Désiré Mobutu mené contre le gouvernement de Lumumba le 14 septembre 1960. Avec le soutien de la CIA, un deuxième coup d’État sera mené contre le président Joseph Kasa-Vubu en novembre 1965 et portera Mobutu au pouvoir.
L’ère Mobutu
Mobutu instaure une politique de l’homme fort dans la région, avec une dictature militaire ayant pour but de servir ses propres intérêts et ceux de l’Occident, notamment de maintenir le Congo hors du communisme soviétique. Sur le plan électoral, la dictature de Mobutu est à parti unique, gouvernée par son Mouvement populaire de la révolution (MPR). Après l’interdiction des partis politiques en 1965, il suspend aussi la constitution, et signe une ordonnance qui lui attribue presque tous les pouvoirs du pays. Les agissements politiques des Mobutu ont affecté le pays de deux façons. D’un côté, ils ont marqué et causé l’absence du développement d’une élite politique puissante, entraînant par la suite un état d’anarchie dans lequel l’acquisition illégale de richesses a persisté avec l’extraction et la vente illégales de minerais. De l’autre, ils ont créé l’amalgame de turbulences politiques et économiques après le retrait de l’Occident causé par la fin de la guerre froide. Vers la fin des années 1980, le pays est endetté jusqu’à 30% de son PIB, la population est ruinée davantage par un accord signé entre Mobutu et la Banque mondiale, entraînant une dévaluation de 77.5% du Zaïre, amplifiant les prix des denrées alimentaires de près de 200 à 300% et la plupart des employés du secteur public limogés.
Le régime, déjà déstabilisé, sera entrainé dans la chute immédiate par les évènements qui ont suivi le génocide rwandais de 1994. Les forces rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) mettent fin au génocide et installent un nouveau gouvernement à Kigali, destiné à tout prix à poursuivre la milice génocidaire qui s’était réfugiée à l’est du Congo. Mobutu refuse de prendre part à cette entreprise, et se met directement à dos les gouvernements rwandais et ougandais, qui ont ensuite fait appel à Laurent-Désiré Kabila (LDK), l’ancien opposant de Mobutu des années 1960, qui devrait alors le combattre avec le soutien des pays régionaux.
Kabila au pouvoir
L’aide militaire apportée par le Rwanda et l’Ouganda à LDK est sans doute la clé dans le déclenchement de la première rébellion (1996 – 1997), avec l’émergence de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), menée par LDK, mettant définitivement fin au régime Mobutu le 17 mai 1997. Une deuxième rébellion (1998-2003) éclate après le divorce entre Kabila et ses voisins alliés de l’Est (Rwanda et Ouganda), les dénonçant de vouloir comploter contre l’autorité congolaise à des fins d’exploitation des ressources. En effet, cette rébellion est marquée par un affrontement entre le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) soutenu par le Rwanda et le Mouvement pour la libération du Congo (MLC) soutenu par l’Ouganda. Dès lors, le conflit prend une dimension régionale impliquant jusqu’à neuf pays africains et une trentaine de groupes armés; le conflit sera surnommé « la guerre mondiale africaine ».
Aux origines de cette rébellion, on pointe aussi l’imbroglio identitaire hutu et tutsi dans la région du Kivu. En effet, cette région fut longtemps une terre d’accueil pour les réfugiés rwandais ayant fui la répression du gouvernement hutu de 1950. Alors que ces vagues d’immigration renforcent des groupements hétérogènes dans la région, elles créent aussi des tensions avec les populations dites « autochtones », qui se sont senties progressivement dépossédées de leurs terres et des droits symboliques de s’y attacher. Les nouvelles tensions tournent alors autour d’une question de nationalité et d’identité, définies sur la base de l’ascendance et garantissant par la même occasion les droits politiques, sociaux et économiques. La consultation nationale sur l’avenir et le développement du pays, tenue de 1990 à 1991, amplifient de plus les tensions identitaires en fermant ses portes aux Tutsis-Congolais sous prétexte de « nationalité douteuse », les écartant de toute participation citoyenne, comme le fait de participer aux élections.
Dans sa rupture avec ses anciens alliés, soit le Rwanda et l’Ouganda, LDK utilisera ce même prétexte dans les remaniements ministériels du 1er juin et du 14 juillet 1998, limogeant les ministres d’origine tutsie de son gouvernement pour faire appel à d’anciens partisans de Mobutu. Ces agissements entraînent des divisions au sein de l’organisation du nouveau chef d’État, l’AFDL, donnant naissance aux mouvements tels que le RCD et aux agitations du MLC, et engagés dans une guerre qui ne sera apaisée que par les accords signés en Afrique du Sud en 2002.
Un autre Kabila au pouvoir
Laurent-Désiré Kabila est assassiné le 16 janvier 2001. L’État congolais, ruiné et toujours en guerre, doit se tourner vers son fils, Joseph Kabila, pour le gouverner. Le 16 décembre 2002, à Pretoria (Afrique du Sud), l’accord global et inclusif sur la transition en République démocratique du Congo est signé entre le gouvernement congolais et les deux groupes armés principaux, RCD et MLC. L’accord consiste à un partage du pouvoir politique et économique, créant un pouvoir exécutif sous la formule 1+4 : un président de la République, soit Joseph Kabila, et quatre vice-présidents, dont deux représentant les deux groupes rebelles, et ce, pour une transition de deux ans. L’accord prévoyait aussi un processus de démobilisation et de désarmement des rebelles, suivi par leur intégration dans l’armée nationale, les Forces armées de la république démocratique du Congo (FARDC).
Mais d’où vient le M23 ?
Ce processus de démobilisation et de réinsertion des rebelles, dit « brassage », n’a pas atteint ses objectifs, ou en tout cas, pas le rétablissement de la paix. En 2004, les rebelles du RCD exigeaient déjà une redéfinition des modalités de brassage au sein de l’armée congolaise. Ces derniers se mutinent, et forment le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) dirigé par Laurent Nkunda, et s’engagent dans une série de batailles contre le gouvernement congolais de 2006 et 2008. D’après ses déclarations publiques, le CNDP défendait les intérêts de la population marginalisée de l’est de la RDC, assurant l’autorité et la sécurité dans une région où le contrôle de l’État est limité. Bien qu’il ait affirmé agir au nom de tous les groupes ethniques locaux, les préoccupations des Tutsis-Congolais étaient au cœur de son programme, notamment les demandes de représentation politique et de protection contre les attaques des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle issu de la milice génocidaire qui s’était enfui à l’est du Congo à la fin du génocide rwandais en 1994.
Le 23 mars 2009, un accord de paix est signé entre le gouvernement congolais et le CNDP; ce dernier confirmant le « caractère irréversible de sa décision de mettre fin à son existence comme mouvement politico-militaire » et de s’engager à « intégrer ses unités armées respectivement dans la Police nationale Congolaise et les Forces armées de la république démocratique du Congo ». Par la même occasion, son aile politique deviendrait un parti politique officiellement reconnu. En échange, le gouvernement s’engageait, entre autres, à « promulguer une loi d’amnistie couvrant la période allant de juin 2003 à la date de sa promulgation », et dont tous les membres du CNDP devraient bénéficier. Le divorce de cet accord survient en 2012, quand une faction au sein du CNDP dénonce par la suite ce qu’elle a interprété comme la mauvaise application de l’accord, se transformant en un nouveau groupe rebelle. Ce dernier se fait connaître sous le nom de M23, en référence à l’accord du 23 mars, et prétend encore la même chose que son précédent : défendre les intérêts des minorités congolaises de langue tutsie et kinyarwanda.
Accusé des graves violations des droits de la personne et des crimes internationaux par des organisations comme Human Rights Watch, le groupe est défait par le gouvernement congolais en 2013, avant sa résurgence en 2022, qui bénéficie du soutien du Rwanda selon l’ONU, la France et les États-Unis. La résurgence du M23 est liée à l’instabilité politique qui a marqué l’est de la RD Congo aux cours de ces trente dernières années, avec la persistance d’autres groupes armés, commettant aujourd’hui des violences généralisées, dont des tueries de masse, des viols sur les femmes et les enfants et d’autres graves abus. Durant la seconde moitié du XXe siècle, les démarches entreprises par le Congo pour se libérer de l’emprise belge, l’assassinat du leader nationaliste Patrice Lumumba et la longue dictature du général Mobutu ont conduit à l’un des conflits les plus sanglants que nous connaissons aujourd’hui. L’ONU évalue à 6,9 millions le nombre de déplacés dans la partie orientale du pays, alors que 6 millions de personnes seraient mortes depuis 1996.
Édité par Jeanne Arnould