Introduction au projet d’Euro Numérique
Selon Denis Beau, lpremier sous-gouverneur de la Banque de France, « l’euro numérique favorisera le développement de solutions de paiement paneuropéennes, ce qui pourrait accroître la concurrence dans l’écosystème des paiements numériques. » Le 18 octobre 2023, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé le lancement de la phase préparatoire du projet d’euro numérique, succédant à une phase d’investigation de deux ans. Cette étape cruciale vise à définir les règles de fonctionnement de l’euro numérique et à résoudre les problématiques techniques inhérentes à son déploiement. En mars 2025, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a déclaré viser la finalisation de cette phase préparatoire d’ici octobre 2025, en préparation au lancement de l’euro numérique. Toutefois, la décision définitive de lancer l’euro numérique ne sera prise qu’après la fin de cette phase et l’aboutissement du processus législatif européen.
L’euro numérique constitue une ébauche de monnaie numérique de banque centrale (MNBC) pilotée par la BCE. Conçu comme une version électronique de l’euro, il possèderait la même valeur que l’euro physique ou scriptural (les comptes bancaires) et serait émis directement par la BCE. Il vise à compléter les modes de paiement en espèces et électroniques existants, en proposant une alternative publique, sécurisée et accessible. La BCE y voit un moyen de consolider la souveraineté monétaire européenne, tout en répondant à la numérisation croissante des échanges financiers.
Défis et Risques associés à l’Euro Numérique
L’euro numérique soulève plusieurs préoccupations majeures. Sur le plan technique, la BCE prévoit une architecture double : des transactions en ligne, contrôlées par les prestataires de services de paiement, et des transactions hors ligne, permettant à un utilisateur de payer une autre personne même sans connexion, via une carte ou une application mobile sécurisée. Ces paiements hors ligne visent à garantir un certain degré d’anonymat, en particulier pour les petits montants (jusqu’à 300 euros), conformément aux recommandations du Comité européen de la protection des données (CEPD).
Cependant, malgré ces efforts, les risques de cyberattaques restent une source d’inquiétude. L’expérience nigériane avec le e-Naira, confronté à une adoption très limitée, a montré qu’une confiance insuffisante dans la sécurité numérique peut nuire à l’efficacité d’une MNBC. La BCE promet des mécanismes cryptographiques robustes — sans blockchain — mais avec une infrastructure de chiffrement à double clé et des audits de sécurité indépendants. Des stress tests en conditions réelles seront menés dès fin 2025.
Sur le plan économique, les banques commerciales redoutent une fuite de liquidités vers la BCE, notamment en période de crise. En effet, si les citoyens venaient à convertir massivement leurs dépôts en euros numériques, cela pourrait entraîner une contraction des ressources bancaires, accroître les coûts de financement et réduire la capacité de prêt aux ménages et entreprises. Le professeur Markus Brunnermeier souligne que « les MNBC pourraient transformer les banques en simples agents distributeurs de crédits, à condition qu’elles soient protégées par des plafonds de détention stricts ». La BCE envisage ainsi une limite individuelle de détention, possiblement autour de 3000 euros, pour éviter de concurrencer les dépôts bancaires tout en maintenant la stabilité financière.
Au-delà des enjeux financiers, l’euro numérique soulève aussi des interrogations fondamentales en matière de libertés individuelles. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a mis en garde contre le risque qu’une traçabilité excessive des transactions permette une surveillance généralisée des paiements, compromettant la vie privée des citoyens.
Pour répondre à ces préoccupations, le CEPD insiste sur l’importance d’une conception intégrant des garanties de confidentialité dès l’origine (“privacy by design”). Il recommande notamment la mise en place de transactions anonymes hors ligne jusqu’à un seuil prédéfini, afin de concilier protection des données personnelles et conformité aux normes de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Impacts sur la Vie Quotidienne et l’Économie Globale
La Banque populaire de Chine a pris les devants avec le développement et le lancement du e-CNY en 2017, également connu sous le nom de yuan numérique. Ce projet figure parmi les plus avancés au monde, avec des essais pilotes actifs dans plusieurs grandes villes de la République populaire de Chine. Le e-CNY vise à moderniser le système de paiement national et à réduire la dépendance aux espèces. Sa réussite est notable, puisque la monnaie digitale a rapidement été adoptée et utilisée par les participants aux phases pilotes. A titre d’exemple, en juin 2024, notamment, le volume total des transactions a atteint 986 milliards de dollars.
Dans la zone euro, l’introduction de l’euro numérique promet de transformer le quotidien en simplifiant et sécurisant les transactions. Ce moyen de paiement pourrait être employé pour diverses opérations telles que le versement des salaires, des aides sociales, le règlement des transports publics, et bien d’autres aspects de la vie courante. Progressivement, l’euro numérique coexister avec les espèces, offrant une alternative numérique sans pour autant les remplacer totalement. Son adoption pourrait également catalyser une accélération des transactions internationales, diminuant ainsi les coûts et les délais des paiements transfrontaliers au sein de la zone euro et au-delà.
Globalement, l’adoption d’une monnaie numérique offre plusieurs avantages. Elle constitue un moyen de paiement instantané et accessible, facilitant les transactions et réduisant certains coûts associés aux infrastructures bancaires traditionnelles. Néanmoins, son déploiement à grande échelle pose également des questions fondamentales sur la confidentialité des données, la liberté individuelle de gérer son argent, et le rôle futur des banques dans l’économie.
Conclusion et Perspectives Futures
L’avènement de l’euro numérique représenterait une révolution radicale du paysage financier européen. En proposant un moyen de paiement instantané, sécurisé et accessible à tous, il pourrait simplifier les transactions quotidiennes, consolider la souveraineté monétaire, et favoriser la transition vers une économie de plus en plus numérisée. Toutefois, le déploiement de cette monnaie numérique soulève d’importants défis, notamment en matière de protection des données, du maintien de l’équilibre économique et la préservation des libertés individuelles.
Si l’euro numérique venait à s’imposer, il redéfinirait en profondeur le rôle des banques traditionnelles, la gestion des épargnes et les mécanismes des transactions internationales. Le succès de cette initiative dépendra essentiellement de la capacité des institutions à établir un cadre réglementaire qui garantisse à la fois l’efficacité économique et le respect des droits fondamentaux des citoyens. Entre l’innovation nécessaire et la régulation impérative, l’avenir de l’euro numérique repose sur un équilibre délicat entre progrès technologique et confiance publique.
Pour l’instant, l’opinion publique reste partagée. Selon une consultation publique menée par la BCE (octobre 2020-janvier 2021), la principale préoccupation des citoyens et des professionnels est la protection de la vie privée, suivie par la sécurité et l’acceptation généralisée dans la zone euro. Certains experts estiment que les Européens disposent déjà d’offres privées efficaces et que l’euro numérique pourrait échouer sans adhésion populaire. Van Eyck prévient : « Le gros problème, si l’on n’a pas l’adhésion du public, c’est que l’euro numérique pourrait échouer. » Le futur de l’euro numérique reste donc incertain, suspendu entre ambition technologique et réalités sociétales.
Edité par Sofia Germanos.