Après la Première Guerre mondiale et le Traité de Versailles, la France et le Royaume-Uni mettent la main sur des nouveaux territoires proches et Moyen-Orient. Cette acquisition découle d’un accord secret entre les deux puissances coloniales; l’accord de Sykes-Picot où la France et le Royaume-Uni ont essentiellement divisé le proche-orient en zones de contrôle et d’influence afin d’assouvir leurs intérêts. La colonisation européenne a eu des effets dévastateurs sur la région. Poussées par la recherche de nouveaux marchés pour écouler leur production industrielle et exploiter des ressources naturelles, les institutions politiques mises en place étaient non seulement extractives au détriment de la population locale, mais ont perduré à ce jour. Ceci est notamment le cas au Liban où le mode de contrôle et le système de mandat ont façonné l’état-nation libanais.
Un sectarisme mis en avant sous le joug impérial français
Dans un premier lieu, il est important de détailler les raisons derrière l’expédition française au Liban et au Proche-Orient de manière plus générale afin de comprendre le mode de contrôle mis en place et les impacts sur les différentes communautés ethno-religieuses du Liban. La France se positionne comme la protectrice des Chrétiens au Moyen-Orient et plus particulièrement des Maronites.
Le mandat français au Liban va perpétuer ces idées de menace ethno-religieuse et tentera de “rééquilibrer” les rapports de force en inscrivant dans la loi la protection des chrétiens. De plus, le mandat met en place une administration coloniale qui traite la population arabo-musulmane à travers une relation paternaliste. En effet, les musulmans sont considérés comme une “race d’enfants” qui doit être éduquée et mise sur le droit chemin tandis que les chrétiens, francophones, sont considérés comme Phocéens et Méditerranéens. Le statut administratif spécial français favorise explicitement ces derniers comme dirigeants de l’administration locale. L’utilisation du système de mandat consiste à avoir des intermédiaires dans la colonisation du Liban, où l’on observe l’utilisation de l’église comme acteur colonial. Cette dernière a pour but “d’éduquer” les Arabes afin de leur enseigner le français et de tenter de les convertir au Christianisme dans le projet plus large de sa “mission civilisatrice.” Ceci aura des conséquences dévastatrices, car elle braque la population musulmane qui se retrouve écartée de la vie publique.
La conception de l’État libanais et la formation des institutions axées sur les questions d’identités représentent un legs du colonialisme français. Le Liban étant établi en tant qu’ État indépendant est lui-même un héritage du mandat français. La conséquence du mandat français est donc la reproduction par les institutions politiques des divisions ethno-religieuses au Liban rendant impossible le dépassement de ces impasses religieuses et les nouvelles sources d’identité politique.
Une économie de rente
Il ne faut pas oublier que ces divisions sur des lignes ethno-religieuses font le jeu de la France en détournant l’attention de la population locale du pillage systématique de l’économie libanaise. En effet, les institutions ayant pour but l’extraction des ressources (humaines et naturelles) ont aussi perduré après l’indépendance. Derrière le “message civilisateur” et le discours paternaliste de la France, on retrouve des intérêts économiques qui ont eu de profonds impacts sur le pays. On observe alors que les institutions mises en place dans les années 1900 ont été modelées par les exportations libanaises afin de créer une économie de rente au Liban. De nos jours, on constate que l’élite économique libanaise perpétue cette économie de rente en créant du profit à travers de la spéculation financière et immobilière, pillant les fonds de pension et attendant les plans de sauvetage de l’Etat. Ces plans de sauvetage ont tendance à être détournés vu la corruption inhérente aux institutions qui ont été modelées d’après le favoritisme de la colonisation.
Les institutions coloniales ont perduré dans et modelé les institutions modernes et placé le Liban dans la dépendance au sentier. La dépendance au sentier est le fait que les décisions prises par les anciens dirigeants ont une inertie inhérente aux institutions qui perdurent et définissent le mode de développement mis en place. Ainsi on peut constater que la crise économique et politique à laquelle fait face le Liban n’est pas conjoncturelle mais a des causes structurelles profondes qui remontent au mandat français.
Une élite francophone et francophile
Le paternalisme ambiant de la colonisation française considère le Liban et sa population arabo-musulmane comme un enfant qui doit être éduqué et remis sur le droit chemin par les chrétiens francophones. La France représente le Liban comme non-éduqué et naïf et la France comme un parent fort, libre, compatissant et remplit de sagesse qui doit savoir être ferme avec ses enfants (colonies). Le récit colonial propagé par l’administration française sert ainsi de justificatif pour les actes inhumains de la colonisation (travail forcé, racisme systémique etc…) De plus, les anti-colonialistes reprendront le régime paternaliste de la puissance coloniale à leur guise. Dans leurs discours, ils stipulent que le Liban a grandi et qu’il est dorénavant une mère qui doit s’occuper de ses différents enfants qui découlent chacun des trois grandes sectes religieuses (chiites, maronites, sunnites).
On retrouve des traces de ces idées colonialistes dans l’éducation libanaise. Le système éducatif Libanais a historiquement utilisé le français comme langue d’instruction en plus de l’Arabe. Ce système scolaire a été étayé par l’Alliance Française. L’Alliance Française est un organisme non-lucratif qui est voué à la propagation de la langue française et aux valeurs démocratiques à l’étranger. Cet organisme est un outil essentiel de la politique culturelle française qui utilise la langue comme véritable levier de son soft power à l’étranger. L’Alliance Française fonctionne essentiellement comme un organisme diplomatique officieux. Au Liban, l’église a travaillé main dans la main avec cette dernière pour créer les premiers cursus scolaires libanais. Son implantation au Liban lui a permis d’avoir une porte d’entrée à l’oreille des dirigeants du pays et de les convaincre des bienfaits d’utiliser le français comme langue de l’enseignement. En effet, la fin de la politique scolaire de la France après la colonisation n’a pas été la fin de l’influence de l’État français sur le Liban. Ce dernier travaille comme médiateur, à travers l’alliance française entre l’Eglise et l’État pour encourager le déploiement d’hommes religieux comme enseignants. Cette collaboration avec les écoles religieuses pour pallier le manque d’enseignants orchestré par la France durant le mandat, perpétue une politique néocoloniale.
On retrouve le récit colonial dans tous les aspects de la société libanaise, mais il est le plus visible auprès de l’élite francophone et francophile. Cette dernière a tendance à glorifier la France, car elle a passé le baccalauréat et poursuivit ses études dans les universités françaises les plus prestigieuses et onéreuses (SciencesPo, la Sorbonne, Paris-Dauphine) où elle côtoie d’autres membres de la diaspora libanaise. De plus, cette dernière a tendance à se différencier de la population Arabe en s’identifiant comme “Méditerranéenne” ou “Phocéenne.” Ces deux termes sont les mots exacts des colons français pour décrire la minorité chrétienne comme plus blanche et ayant une certaine valeur supérieure relative à la population arabo-musulmane. On constate ainsi que l’élite libanaise, en se rapprochant le plus possible de l’idéal colonial s’inscrit dans la lignée du récit français. De par leur éducation francophone et francophile, les élites libanaises ont eu tendance à entretenir une relation spéciale avec la France à travers des forts liens économiques et des accords politiques. Ceci est à l’avantage de la France qui a besoin du Liban comme base arrière afin de se projeter comme puissance dans la région.
En fin de compte, on constate que la France a modelé les institutions politiques et économiques du Liban ce qui lui a permis d’y exercer une influence politique et stratégique. Ceci est d’autant plus redoutable que le Liban sert de base arrière pour ses missions militaires et diplomatiques à travers tout le proche et moyen-orient. L’influence française sur les institutions libanaises s’est opérée au détriment de la représentation démocratique du peuple libanais et de la croissance économique de la nation.
Edité par Jeanne Arnould