L’actualité ne cesse de décrire Marseille comme une ville de non droit, où chaque nouvelle affaire de corruption, de clientélisme ou de règlement de compte semble renforcer sa mauvaise réputation. Pourtant, ces actes sont le fait d’individus et non de la ville elle-même. Cette tendance à essentialiser la ville se manifeste particulièrement dans le discours de journalistes, de responsables politiques ou de magistrats. Au fil des siècles, la cité phocéenne a vu sa réputation se ternir, un stigmate qui perdure tant en France qu’a l’étranger. À travers une analyse de faits historiques, cet article tentera de répondre à deux questions fondamentales : Quels événements historiques, sociaux et économiques ont façonné la perception de Marseille comme une “ville à problèmes”? Quel rôle les médias et les stéréotypes ont-ils joué dans l’amplification de cette réputation ?
Fondée en 600 avant J.-C par des colons grecs de Phocée, Marseille occupe depuis toujours une position stratégique en Méditerranée, contribuant à son identité cosmopolite. Dès sa création, la ville s’est construite sur un brassage des cultures, symbolisé par le mythe fondateur de l’union de Protis, un Gaulois, et de Gyptis, une Grecque. Ce métissage fait partie intégrante de l’histoire de Marseille et reste, aujourd’hui encore, une composante clé de son identité.
Dans son ouvrage intitulé Marseille. Éclat(s) du mythe , l’historienne des migrations Céline Regnard explore les stéréotypes liés à la capitale provençale. Avant les années 1830, Marseille était déjà perçue comme un bastion de violence et de rébellion, en partie à cause des disparités socio-économiques entre le nord et le sud de la France. L’analphabétisme de ses habitants et les événements révolutionnaires et impériaux ont également contribué à l’image négative de la ville portuaire. Le Marseillais, lui-même, est souvent dépeint par la presse parisienne comme l’archétype d’un épicurien provincial et paresseux, devenant le symbole d’une ville mal gérée. Il aime la nature, perçue comme une extension de sa simplicité primitive, loin des manières et des formalités, des stéréotypes exagérés par les Parisiens puis repris pas les Provençaux dans un échange constant.
La fin du XIXe siècle marque un tournant. Avec l’essor de la presse à grand tirage, les faits divers prennent une ampleur nationale, et favorisent l’émergence d’une culture nationale unifiée, ce qui contribue à forger la mauvaise réputation de Marseille, qui se retrouve souvent associée à la criminalité et à l’’immigration. L’affaire des Vêpres marseillaises de 1881, où un mouvement xénophobe a dirigé des violences envers les Italiens pendant trois jours, renforce cette stigmatisation. Dès lors, Marseille, ville ouvrière et d’immigration par excellence, acquiert alors une réputation violente. Le Nervi, une figure autrefois valorisée dans les milieux populaires marseillais, se transforme peu à peu en symbole de délinquance, notamment liée aux jeunes hommes d’origine italienne. Ce personnage, initialement perçu avec fierté, devient dans l’imaginaire de la Belle Époque une menace criminelle.
Dans les années 1920, la cité phocéenne devient le “Chicago français” en raison de la montée du crime organisé et de la corruption politique, renforçant l’idée de Marseille comme anti-modèle républicain. Le fameux écrivain Blaise Cendrars résume le système dans lequel Marseille est englué : « Par le trafic, l’argent. Par l’argent, l’élection. Par l’élection, la puissance. Par la puissance, l’impunité. Par l’impunité, le trafic. Le cycle est bien fermé».
Pendant plus d’un siècle, le cosmopolitisme marseillais a été perçu à la fois comme un idéal et une menace, exacerbée par les tensions raciales et xénophobes. L’entre-deux-guerres voit une nouvelle vague d’immigration, avec des populations lointaines, comme les Algériens et les réfugiés Arméniens. En 1973, les violences racistes explosent à Marseille, exacerbées par les tensions postcoloniales entre pieds-noirs, immigrés algériens et harkis.. La ville devient ainsi le symbole du « problème » de l’immigration en France, largement médiatisé et associé au racisme. Bien que la tension diminue après 1975, les tensions intercommunautaires persistent, comme le montre le succès du Front National aux municipales de 1983.
Dans les années 1980, des universitaires et des hommes politiques œuvrent à faire de Marseille un symbole d’ouverture et de cosmopolitisme, grâce à une mobilisation contre le racisme et la xénophobie. Cependant, ce cosmopolitisme marseillais, bien que fortement promu par la culture locale, reste fragile, avec une image ambivalente de ville à la fois accueillante et marquée par l’intolérance.
En conclusion, l’image de Marseille a été façonnée par des siècles d’événement historiques, de tensions sociales et d’immigration, amplifiée par les médias et les stéréotypes. Cette perception, souvent réductrice, ne rend pas justice à la complexité de la ville ni à la diversité de ses habitants. Les Marseillais, loin de se laisser définir par cette réputation négative, ont forgé une identité forte et singulière, revendiquant leur appartenance avec fierté, comme l’illustre le slogan “Fiers d’être Marseillais”, qui résonne bien au-delà des tribunes du Stade Vélodrome.
Édité par Sofia Germanos