Deuxième puissance cinématographique mondiale après l’Inde (en termes de films produits par an), le cinéma nigérian, aussi appelé Nollywood, a su depuis les années 1990 se démarquer.
Après plus d’un siècle de colonisation britannique, terminée en 1960, et de 15 ans de dictature militaire, le Nigéria devient, en 1999, une République fédérale (démocratique et multipartite). C’est ainsi d’abord dans un contexte colonial que le Nigéria se familiarise avec le 7e art, avec des productions fortement contrôlées par l’Empire britannique et des diffusions majoritairement composées de films étrangers. À partir de sa décolonisation et grâce à des fonds provenant du boom pétrolier de 1973, les productions nigérianes augmentent, mais font face à des défis grandissants, notamment avec l’avènement de la télévision qui change radicalement la consommation de média des Nigérians. C’est dans ce contexte d’abandon des cinémas, mais également d’une récession économique, que la forme actuelle de Nollywood émerge dans les années 1990.
Aujourd’hui, Nollywood représente pour le Nigéria une industrie importante aux conséquences positives. En effet, le cinéma nigérian a su s’adapter à l’économie locale afin de produire en quantité tout en représentant un vecteur d’emplois. Dans un contexte décolonial, Nollywood a également su porter la voix de l’identité nigériane, séduisant ainsi le public local pour qui et par qui il a été créé, mais également des spectateurs régionaux et internationaux.
Néanmoins, malgré son succès ainsi que ses bénéfices apportés à la société nigériane, Nollywood doit également faire face à des défis, notamment économiques, ainsi qu’à un public en évolution.
Une mise en lumière de l’identité nigériane
La décolonisation du Nigéria marqua la fin du contrôle britannique sur les domaines centraux de la société, mais également la fin du rabaissement de la culture nigériane et de son histoire. L’indépendance du pays a de ce fait signifié un regain de pouvoir sur le pays, mais également l’importance de redéfinir et de partager l’identité nigériane.
C’est ainsi que le Nigéria, comme d’autres États africains, a repris le contrôle sur son cinéma et a commencé à utiliser ce médium comme vecteur d’une perspective, d’un regard local sur le Nigéria, ses coutumes, ses codes et ses habitants. C’est en ce sens que le cinéma nigérian est produit par des Nigérians pour des Nigérians si bien que « Nollywood a un pacte avec son audience », un discours populaire que les réalisateurs ainsi que les spectateurs partagent. En effet, Nollywood a su créer son propre langage cinématographique, s’émancipant des codes occidentaux pour créer un cinéma en résonance avec les thèmes, les cadres, les acteurs locaux, mais également l’économie locale. Cette alternative locale du cinéma international représente un succès pour Nollywood, plus consommé par la population nigériane qu’Hollywood.
Une source adaptable à l’économie locale
Bien que pouvant représenter un secteur producteur de l’économie, étant une source d’embauche en particulier de la jeune génération nigériane (en dessous de 30 ans), Nollywood est aussi un secteur nécessitant des moyens de productions et de diffusions parfois complexes à obtenir.
Nollywood s’est donc adapté afin de produire des films à petit budget et en grande quantité (avec en moyenne un temps total de tournage d’une semaine par film), notamment par les procédés de « mégotage » et de « direct to video ». Le premier terme, dérivé des mots mégot et montage, notamment popularisé par Ousmane Sembène, consiste à produire des films sans moyen économique, en faisant preuve d’inventivité afin de créer un cinéma africain post-colonial à partir de peu de matériel et de recyclage de pellicules. En d’autres mots, il s’agit de créer du cinéma en assemblant les films petit bout par petit bout, mégot par mégot. Le deuxième terme, « direct to video » concerne la distribution des œuvres et consiste à ne pas projeter les films au cinéma, mais à les rendre directement disponibles en DVD vendus dans la rue ainsi qu’en streaming, permettant un rendement plus rapide, à coûts réduits et accessibles à une plus grande partie de la population.
Une reconnaissance régionale et internationale
Outre un public et une économie locale, Nollywood s’exporte également régionalement et à l’international, notamment grâce à l’avènement du streaming avec Netflix, YouTube, Nollywood TV, etc.
Régionalement, cette reconnaissance du cinéma nigérian se fait à travers des festivals de films africains, mais aussi plus généralement par une grande consommation de cinéma Nollywood à travers le continent. En effet, ce médium d’expression de l’identité nigériane reflète également des caractéristiques africaines communes telles que la lutte contre le colonialisme et le néocolonialisme, les conflits entre la vie urbaine et le village ou encore, entre la chrétienté et la foi traditionnelle. Nollywood représente donc une forme de panafricanisme où il est « le premier catalyseur d’un discours continental émergent à propos de ce qu’être africain signifie ». Internationalement, la reconnaissance de Nollywood s’est faite progressivement, notamment grâce à l’utilisation courante de l’anglais dans les films et à la diaspora nigériane. Cette popularité permet au Nigéria et à sa culture de mieux se faire connaître dans de nombreux pays et ainsi représenter une forme d’influence culturelle, créative, mais aussi politique à l’international.
Les défis de l’empire Nollywood
Malgré son succès, l’industrie Nollywood doit faire face à des défis économiques conséquents ainsi qu’à des critiques.
En effet, d’un point de vue économique, en raison d’une production souvent à bas coût, la qualité technique des films se retrouve négligée (utilisation de générateurs très bruyants sur le tournage, manque de matériels, de technologies avancées, etc.). Pour remédier à ce problème de manque de financement, le cinéma nigérian doit parfois faire appel à des producteurs internationaux et ainsi compromettre sa dimension locale et alternative à Hollywood. Le problème économique est également présent à la sortie des films en DVD et en streaming où les œuvres sont souvent victimes de piratage, ce qui fait perdre des revenus conséquents aux équipes. Nollywood fait également face à des critiques surtout au sein de ses spectateurs locaux. En effet, face à un public aux attentes grandissantes, les thèmes abordés par Nollywood, notamment sa prédilection pour les drames, rendent parfois les narrations répétitives. Pour remédier à cette déconnexion avec son audience, le cinéma nollywoodien tente d’être en renouvellement perpétuel. Enfin, au sein du continent africain, une déception se fait ressentir auprès de certains critiques remarquant que le rôle que représente Nollywood à l’international manque “la mission idéologique qui pourrait le faire devenir vecteur de transformation politique et sociale en Afrique” (source). En d’autres termes, le cinéma du Nigéria est critiqué pour ne pas être à la hauteur de son potentiel, du rôle panafricain qu’il pourrait avoir, de par son manque de positions politiques claires et de messages unificateurs de l’identité africaine.
L’empire Nollywood a su s’imposer auprès de sa population, mais également à l’international, représentant à travers ses thèmes et ses images une identité nigériane et africaine. Malgré ce succès, l’industrie cinématographique du Nigeria doit faire face à des difficultés budgétaires, mais également à un public en attente de renouvellement et d’une ambition politique plus importante. Ainsi, il sera important dans les prochaines années de suivre l’évolution économique du média, en particulier au sujet de son lien avec ses producteurs internationaux et régionaux. Enfin, la progression du symbole politique que Nollywood représente pour le continent africain pourra également être observée, en tenant toutefois compte de l’essence de Nollywood en dehors de son prisme politique : un média d’art, de création, de divertissement et de représentation.
Édité par Natacha Soto
Ambre Abou Daher is in her third and final year at McGill University, currently pursuing a B.A. in Political Science as well as in Psychology with a minor in World Cinemas. She is a 2023-2024 staff writer for Catalyst and has a particular interest for human rights, geopolitics and regional politics of the Middle East and North Africa (MENA).