Moins de deux semaines après l’investiture de Donald Trump, la Maison-Blanche a signé plus de 300 décrets exécutifs abordant des sujets aussi variés que l’immigration, l’avortement, la diversité et bien d’autres. Certains de ces décrets étaient attendus, nés en grande partie du phénomène de la “fenêtre d’Overton”. Ce concept, popularisé par le juriste et lobbyiste américain Joseph P. Overton, propose une métaphore pour comprendre l’évolution des idées politiques au sein d’une société. La fenêtre d’Overton représente l’éventail des politiques considérées comme acceptables à un moment donné. L’idée clé réside dans le fait que cette fenêtre peut s’élargir au fur et à mesure que les acteurs médiatiques et politiques introduisent de nouvelles idées dans le débat public. Cette stratégie vise à redéfinir ce qui est politiquement possible et à étendre les horizons des politiques envisageables.
L’histoire montre que l’élargissement de cette fenêtre peut avoir des effets positifs, permettant des changements sociaux fondamentaux. Des débats autrefois impensables, comme ceux sur l’esclavage ou l’avortement, ont progressivement fait leur chemin dans la sphère publique à mesure que la fenêtre d’Overton s’élargissait. Entre autres, les changements dans la structure sociale des femmes dans les années 1960-1970, marqué notamment par leur intégration croissante dans le marché du travail aux États-Unis, a intensifié leurs revendications face aux disparités de genre. Cette évolution a contribué à déplacer la fenêtre d’Overton, ouvrant ainsi le débat vers l’adoption de lois plus compréhensives et inclusives en matière d’égalité des sexes.
Un aspect fascinant de ce phénomène est qu’une fois qu’une idée radicale est proposée, elle a tendance à rendre acceptables d’autres idées qui étaient auparavant jugées trop extrêmes. Cela permet une redéfinition des contours du débat politique, souvent avec des conséquences profondes sur les décisions prises à l’échelle nationale.
Donald Trump impose des changements et signe des décrets à une vitesse fulgurante. Ses opérations aurait pu en grande partie être anticipée à la lumière des propos de son ancien conseiller, Steve Bannon. Ce dernier évoquait la notion de « muzzle velocity » (vitesse du canon), une stratégie visant à saturer les médias de nouvelles informations, permettant ainsi à l’administration de faire adopter des décrets sous le radar, loin des regards attentifs. Surtout, lui-même qualifiait le média d’être l’ennemie numéro, nécessitant les républicains « d’inonder la zone avec de la merde », promotionnant des mensonges afin de désorienter les médias.
Cependant, cette même presse est dans le collimateur de Trump, qui n’a cessé de critiquer sa véracité, notamment des médias comme ABC News, CBS News et le New York Times. La critique vise avant tout la légitimité et la crédibilité des médias, qui, selon lui, seraient complices d’une manipulation de l’opinion publique. Pourtant, les médias occupent un rôle central dans toute démocratie en tant que contre-pouvoir, en particulier pour exercer une opposition et une critique des personnalités publiques. Dans ce contexte, les attaques récurrentes de Trump contre ce qu’il qualifie de « Fake news media » soulèvent de sérieuses questions sur la préservation de cette liberté.
Pourtant, les médias occupent un rôle central dans toute démocratie en tant que contre-pouvoir, en particulier pour exercer une opposition et une critique des personnalités publiques, un principe que Thomas Jefferson qualifiait de « liberté de la presse ». Dans ce contexte, les attaques récurrentes de Trump contre les médias soulèvent de sérieuses questions sur la préservation de cette liberté. Les récentes stratégies pour décrédibiliser la presse, telles que l’utilisation des « SLAPP suits » (poursuites en diffamation visant à faire taire les journalistes), apparaissent comme une tentative d’intimidation systématique. Ces poursuites judiciaires n’ont pas pour but de gagner, elles ne servent qu’à réduire au silence les voix critiques et de dissuader toute forme de contestation.
Quel impact cela pourrait-il avoir sur la fenêtre d’Overton ? En normalisant cette rhétorique hostile envers les médias, ces actions brouillent la ligne entre informations factuelles et désinformation. Elles contribuent à étendre la fenêtre de ce qui est acceptable dans le discours public, rendant de plus en plus difficile pour les citoyens de distinguer les vérités des mensonges, particulièrement durant l’ère des réseaux sociaux, et fragilisent ainsi la crédibilité du quatrième pouvoir dans le processus démocratique.
Trump utilise fréquemment un discours de danger imminent, qualifiant les immigrants de « poison » pour la société ou d’« animaux », et évoque des mensonges sur des taux de criminalité en hausse. Ces déclarations, bien que souvent non fondées, peuvent influencer profondément les émotions des électeurs, alimentant la peur et la haine. La répétition de discours racistes et discriminatoires, notamment contre les musulmans et les immigrants lors de sa première campagne, a suscité une étude de Cambridge sur « l’effet d’encouragement », montrant que de tels discours peuvent inciter les partisans à adopter des comportements haineux plus explicites.
Cela modifie radicalement la fenêtre d’Overton, en rendant acceptables des mesures extrêmes face à ce qui est perçu comme une menace pour la nation. Par le fait même, il ne se gêne pas de décrédibiliser les fondements du gouvernement actuel sur les réseaux sociaux, conséquemment ne se gêne pas d’opérer l’acheminement de décret non constitutionnel. Pour justifier ces actions, il résonne avec les mots de Bonaparte : « Celui qui sauve son pays ne viole aucune loi ». La stratégie de Trump, qui repose sur la mécanisation systématique des démocrates et la promotion de sa propre vision, est truffée de sophismes politiques, élargissant progressivement ce qui est perçu comme politiquement « acceptable ».
Cette rhétorique met en lumière les lacunes dans la compréhension populaire de la liberté d’expression, notamment l’opposition d’un gouvernement à la critique des politiques de l’autre partie, essentielle pour maintenir un esprit critique. Cependant, les erreurs factuelles dans les propos de Trump et la distorsion des faits révèlent un problème plus profond : l’incapacité croissante du public à différencier la vérité de la désinformation, rendant ainsi les tactiques populistes et manichéennes plus efficaces et difficiles à contester.
Édité par Yara Daher
Cet article a été écrit par un membre de l’équipe rédactionnelle. Catalyst est une plateforme dirigée par des étudiants qui favorise l’engagement avec les enjeux mondiaux dans une perspective d’apprentissage. Les opinions exprimées ci-dessus ne reflètent pas nécessairement les points de vue de la publication.