« Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée ». Charles Baudelaire, « Les Fenêtres », extrait.
Baudelaire, par ces quelques mots, souligne le pouvoir d’une fenêtre fermée. Observateur doué d’imagination, le champ des possibles de l’Homme est vaste.
Si l’Homme peut générer mille et une idées, on peut se poser la question : l’Homme doit-il générer mille et une idées ?
Joseph Overton, dans les années 1990, reprenant l’image de la fenêtre, mais dans un cadre bien plus idéologique, élabora sur le périmètre des idées acceptées et politiquement audibles, à un moment donné, par l’opinion publique. Plus tard, ce concept fut nommé en son nom : la fenêtre d’Overton.
Avec le temps ou avec des évènements, le degré d’acceptation d’une idée peut osciller entre l’impensable, le radical, l’acceptable, le raisonnable, le populaire et la politique publique. Lorsque le public change d’opinion sur une idée, la fenêtre se déplace, s’agrandit, ou se rétrécit ; et inversement.
J. Overton, en théorisant ce cadre des opinions admises, n’en avait pas fait découler de stratégie politique. Aujourd’hui, les médias et politiciens se sont approprié le concept, et en ont fait émerger diverses utilisations en termes de communication et d’influence.
En effet, la promotion d’une idée considérée extrême peut avoir pour objectif de, petit à petit, l’intégrer dans la fenêtre d’Overton, en la banalisant. Par exemple, certains défendent que les « dérapages rhétoriques » fréquents de Trump sur Twitter visent à atteindre une forme d’indifférence du public, à l’origine contre ses idées. On pourrait également prendre l’exemple des mesures de confinement, qui au début de la pandémie paraissaient impensables, alors qu’elles sont maintenant acceptées.
Tandis que certains prônent une fenêtre d’Overton la plus large possible, laissant ainsi la possibilité à des divergences aux discours écrits d’avance d’émerger ; d’autres rétorquent que banaliser l’inacceptable et des propos considérés extrêmes peut mener à des idées toujours plus radicales, voire même compromettre« l’esprit des Lumières ».
Selon Olivier Babeau, si une idée n’est pas confrontée à son opposition, elle ne peut ni être qualitative ni être durable. Il argumente que l’entrechoc d’idées contraires permet « d’aboutir à des chemins de convergence » ; en d’autres mots à un terrain d’entente, où violences et dérives radicales seraient écartées justement par leur expression.
À mon sens, son argument est pertinent, mais il faut néanmoins ajouter la nécessité d’une prise de conscience du public quant aux potentiels déplacements de la fenêtre d’Overton, ainsi que ses utilisations idéologiques et politiques. Le journaliste Daniel Schneidermann commentait : « Sous nos yeux, la fenêtre s’est encore élargie ». Sa déclaration témoigne d’une certaine incapacité à réagir face à ces changements, souvent critiqués. Ainsi, il est important de comprendre tout discours, en observant particulièrement le contexte dans lequel ceux-ci se forment et évoluent, ainsi qu’en analysant leurs formulations, puisque « toute lutte politique se fait à travers les mots ».
Reprenant la formule de Baudelaire, je dirai que celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre fermée, ne s’autorise jamais autant de construire, renforcer et armer son discours que celui qui regarde une fenêtre ouverte.
Édité par Augustin Bilaine
Clara is in her second year at McGill, double majoring in Political Science and International Development, with a minor in Social Entrepreneurship. Clara is particularly interested in global human rights and sustainable development, while having a desire to create and study art.