La guerre civile au Soudan se poursuit, 17 mois après le début du conflit opposant le Général Abdel Fattah al-Burhan, commandant de l’armée soudanaise, et son rival, le leader des Forces de Soutien Rapide, Mohamed Hamdan Dagalo, surnommé « Hemedti ».
En 2021, un coup d’État a renversé le gouvernement d’Abdalla Hamdok, Premier ministre du gouvernement transitoire depuis 2019 après la chute d’Omar al-Bashir. Ce coup d’État a entraîné un état d’alerte et a interrompu la transition en un pouvoir civil et militaire. Malgré des négociations entre les États-Unis et les groupes militaires, la situation s’est détériorée, culminant vers la guerre civile actuelle après l’explosion du conflit entre les Forces armées Soudanaises (FAS) et les Forces de Soutien Rapide (FSR).
Le conflit a plongé le Soudan dans une crise humanitaire sans précédent, avec des milliers de morts et une augmentation alarmante des victimes de violence sexuelle , alors que près de la moitié de la population, soit 26 millions de personnes, sont en situation de carence alimentaire. En dépit de la situation critique, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires fait face à un manque de 50 % des 2.7 milliards nécessaires pour l’aide. Pendant ce temps, la communauté internationale semble indifférente. Toutefois, des indices laissent penser que le conflit n’est pas négligé par des États étrangers, qu’il est plutôt envenimé par leurs interventions.
Les erreurs diplomatiques qui ont envenimé le conflit
Les médiateurs de la communauté internationale ont négligé la relation entre les deux groupes armés et leur intention explicite de ne pas permettre de transition en un conseil incluant la population, dirigeant la population vers la guerre civile de 2023.
L’accord de septembre 2019 suivant le démantèlement du gouvernement Bashir prévoyait, dans une période de 39 mois, constituer un gouvernement transitoire facilitant la transition entre un Conseil Souverain Militaire vers un Conseil Souverain Civil.
Seulement, le gouvernement transitoire avec le lieutenant Abdel Fattah comme président et Hemedti, de la FSR comme vice-président, plaçait les militaires en supériorité numérique contrairement aux sièges des civiles.
Les frictions entre les civiles et le conseil militaire précédant la transition vers un conseil civil en novembre ont mené au coup d’État d’octobre 2021 de la FSR et de la FAS qui prétendent que l’instabilité politique se trouve dans la désunion des civiles. Alors que les civils prétendent que les actions des militaires se traduisent par une tentative de s’emparer du pouvoir, menant à de nombreuses manifestations pour un soutien du gouvernement transitoire au Soudan.
En 2020, la ratification de l’Accord de Paix sur Juba (APJ) visait la paix entre le gouvernement soudanais et les principaux groupes rebelles du Soudan avec le but d’unir les parties prenantes. L’accord leur offrait des postes dans leurs gouvernements régionaux, ainsi que des sièges dans le conseil gouvernemental et le conseil de transition. En 2022, les groupes rebelles depuis la signature de l’accord n’avaient toujours rien obtenu des promesses faites.
La faible marge de manœuvre des civils et des groupes rebelles a par le fait même divisé la population. Le ralentissement de la création du Conseil Souverain Civil minimise l’inclusion populaire, alors qu’aucune des démarches promises aux groupes rebelles n’ont été concluantes. De ce fait, la seule manière pour eux de faire valoir leurs demandes était par l’entremise d’alliances avec un des deux groupes armés afin de défendre leur intérêt personnel.
Le point tournant dans les négociations du projet de cadre politique de décembre 2022 fut la proposition des États-Unis à ce que la FSR intègre ces forces à celles de la FAS.
Une Crise humanitaire sans précédent
Les États-Unis ont apporté leur aide humanitaire à la crise soudanaise à plus de 424 millions de dollars, portant le total à 2 milliards de dollars
Ces fonds sont essentiels pour la situation catastrophique résultant des mouvements de population internes et externes dans le pays. Plus de 8.1 millions de personnes ont été forcées de se déplacer à l’intérieur du Soudan, tandis que plus de 2.9 millions ont fui vers l’Égypte, le Tchad et le Soudan du Sud, avec une moindre proportion vers l’Éthiopie et la République centrafricaine.
Le nombre de personnes confrontées à de l’insécurité alimentaire au Soudan, ne cesse d’augmenter, atteignant 25.6 millions selon les chiffres parvenus en septembre. Depuis décembre 2023, le nombre de personnes au bord de la famine a explosé, passant de zéro à plus de 755 000, répartis sur 10 districts. Cette crise alimentaire touche plus de 14 régions du pays, se faisant le plus ressentir dans les zones de conflit.
En février, l’armée soudanaise a instauré une interdiction de traverser la frontière pour empêcher l’importation d’armes, ce qui a également bloqué les camions d’aide humanitaire de l’ONU. Bien que la majeure partie de la région ouest du Soudan, adjacente à la frontière tchadienne, soit contrôlée par les Forces de soutien Rapide, les camions de l’ONU sont contraints de faire un détour de plus de 1000 miles (1609 kilomètres) pour entrer dans le pays. Cette situation conduit à la livraison de seulement 320 camions d’aide entre février et juillet, alors que 1000 étaient nécessaires.
En août dernier, une concession de trois mois a été accordée pour permettre aux camions de l’ONU de traverser la frontière. Cependant, la saison des pluies a provoqué des inondations, rendant les routes et les ponts impraticables et compliquant davantage l’acheminement de l’aide humanitaire vers les zones affectées. (315 mots).
Utilitarisme diplomatique
Dans un paysage politique instable, afin de prendre l’ascendant l’un sur l’autre, les deux groupes armés au Soudan se tournent vers des puissances extérieures pour garantir leur sécurité. Le conflit est désormais marqué par une lutte d’influence impliquant des pays voisins, tels que l’Arabie Saoudite, les Émirats-Arabes-Unis, l’Egypte, l’Éthiopie, l’Iran et la Russie.
Le Soudan occupe une position stratégique cruciale, servant de point de connexion entre la mer Rouge, le Sahel et la Corne d’Afrique, une région clé pour le commerce pétrolier.
Les Émirats Arabes Unis soutiennent les Forces de Soutien Rapide (FSR) dans le cadre de leur ambition de développer leurs relations commerciales en Afrique, notamment dans les secteurs minier et agricole. Le général Hemedti, à la tête des FSR, dispose d’un vaste réseau d’exploitation de l’or, une industrie précieuse et prolifique au Soudan. En outre, des entreprises émiraties détiennent de grandes parcelles de terres au Soudan et ont signé des accords pour la construction d’un port sur la mer Rouge.
Le soutien des Émirats aux FSR va au-delà de l’armement, incluant également des efforts de médiation pour le déploiement de troupes en provenance de pays voisins. Par ailleurs, l’Iran est aussi accusé de fournir des drones à l’armée soudanaise.
Les allégations de prolifération d’armement et d’alliance se multiplient depuis le début de la crise. L’Égypte aurait, par exemple, fourni des armes turques à l’armée soudanaise, tandis qu’une entreprise d’armement turque (Sarsilmaz) est impliquée dans la fourniture d’armes légères.
De plus, l’armée soudanaise et le général Yassir Al-Atta ont conclu une entente avec la Russie pour la construction d’une base navale sur la côte de la mer Rouge en échange d’une assistance militaire de la Russie.
L’escalade du conflit semble résulter en grande partie de l’engagement des grandes puissances dans la région. Leurs intérêts économiques et politiques sont en jeu, notamment en cas de victoire de l’un ou l’autre camp, au détriment du Soudan et de sa population.
Conclusion
Les ambitions économiques et politiques des pays étrangers exacerbent la polarisation au sein du Soudan, tant sur le plan des relations internes ultérieures au conflit, qu’au champ de bataille. Paradoxalement, la communauté internationale, qui semble réduire son engagement dans ce conflit, agit comme un acteur passif, contribuant à enflammer la situation, tout en se concentrant sur d’autres enjeux. Limiter le conflit à une simple guerre civile reviendrait à ignorer l’impact significatif des grandes puissances sur ce que l’on pourrait qualifier de convoitises coloniales.
Édité par Yara Daher