Ce lundi 25 septembre 2023, l’interdiction du port de l’abaya à l’école est officiellement validée par le Conseil d’État, réaffirmant l’importance de la laïcité pour le gouvernement français au sein de ses institutions, spécifiquement dans les écoles publiques. Quelques jours auparavant, le président français, Emmanuel Macron, se rendait à la messe donnée par le pape au Vélodrome de Marseille contredisant le principe même de la laïcité. Face au manque de neutralité de la part d’Emmanuel Macron, de nombreuses questions émergent quant à l’impartialité de la laïcité en France.
Alors, comment évoluer avec un modèle qui refuse totalement la visibilité des religions, mais se permet quelques exceptions? Quelle place donne-t-on à la laïcité en France? Peut-on réellement parler de laïcité ou de lutte contre « l’islamisme »?
Depuis 1905, la France fonctionne sur un modèle de laïcité qui rejette toutes formes d’appartenance religieuse au sein de ses institutions étatiques. C’est l’un de ses principes phares. Marlène Schiappa, anciennement ministre déléguée au sein du ministre de l’Intérieur, décrit même la laïcité comme la « destinée » française. Cependant, ce principe se complexifie lors de l’application des lois qui en découlent.
Samuel Huntington l’avait prédit dans son livre Le Choc des civilisations, le XXIe siècle ne sera plus marqué par des conflits idéologiques, mais par des conflits culturels et religieux. Alors qu’il devait être le siècle de la modernité et de la laïcité, le début du XXIe siècle est caractérisé par de nouveaux groupes religieux, menaçant la pérennité de la laïcité française. La France et une grande partie des pays de l’Occident sont alors marqués par la montée en force d’une nouvelle forme de terrorisme. Le terrorisme islamique provoque une résurgence de la nécessité de la laïcité en France.
À la rentrée 2023, l’obsession gouvernementale était celle du port de l’abaya. À l’origine, l’abaya est une longue robe ample, traditionnellement portée dans les pays arabes, notamment en Arabie saoudite ou au Maghreb. Le port de cette tenue à l’école a énormément fait parler, car elle est considérée comme une entrave à la laïcité, principe républicain très protégé par ses défenseurs. Le bannissement de cette tenue en septembre 2023 s’accompagne de plusieurs problèmes. Le premier, pointé par Lucie Simon, avocate des requérants, fut que l’abaya, également portée par des femmes chrétiennes au Moyen-Orient, n’est pas une tenue religieuse. La défense dénonce la discrimination répétitive à laquelle les élèves d’origine orientales sont fréquemment forcées d’affronter. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) l’a d’ailleurs confirmé sur BFMTV, ce vêtement serait tout simplement victime de la mode, mais n’aurait donc « aucune connotation religieuse ».
Agnès De Féo, sociologue pour Le Monde, annonce que l’interdiction du port de l’abaya dans les écoles aura sûrement un effet contre-productif. Cette interdiction ne fait que (re)souligner l’importance donnée par les Français, non pas aux usagères de cette tenue, mais sur à ce qu’elles portent et les symboles religieux qui en découlent. La nouvelle réglementation a accentué les tensions, déjà présentes depuis l’interdiction du port de la burqa sous le président Nicolas Sarkozy en 2010.
Alors que les signes religieux « ostentatoires », ou même se situant dans une « zone grise », sont formellement bannis des écoles publiques, Emmanuel Macron, grand défenseur de la laïcité, s’est accordé une visite au pape au Vélodrome de Marseille, le samedi 23 septembre. La symbolique est forte : la même semaine où l’abaya est interdite, la République se rend dans un lieu de culte et assiste à la célébration pontificale. En optant pour la laïcité comme sa « destinée », la République se devrait d’être neutre. Si elle souhaitait protéger les lieux de cultes et leur exercice, ses représentants devraient maintenir leur impartialité. Assister à une messe irait au-delà des bonnes relations établies par le pape et affirmerait un manque de lucidité de la part des politiques.
Face à de telles actions contradictoires, la France s’est perdue dans sa quête de laïcité. Son héritage judéo-chrétien l’empêche d’être neutre. Il est alors difficile de juger si la laïcité permet réellement une forme d’égalité entre toutes les religions ou bien si elle est la stratégie de l’État pour lutter contre l’islamisme. En effet, en France entre 2019 et 2020, l’Islam est la deuxième religion la plus pratiquée avec 10% de la population qui se déclare musulmane, contre 29% qui se déclarent catholiques.
Avec une telle croissance de fidèles musulmans, la France doit faire face à une forte dualité d’opinions. Elle possède un électorat religieux contre un laïque. L’un comme l’autre n’est pas anodin. Effectivement, ils provoquent et stimulent des réactions contestataires. Par exemple, de nombreuses jeunes filles sont venues à l’école avec l’abaya afin de contester la récente interdiction.
Le problème de la laïcité de nos jours est qu’elle n’assure plus une neutralité de l’État, mais elle deviendrait de plus en plus restrictive de l’Islam et « l’offensive d’un islamisme radical » qu’elle craint. Il est difficile de savoir dans quelle optique le gouvernement se situe puisque les actions contradictoires ne cessent de se multiplier, et les mêmes communautés semblent être perpétuellement visées. Si Gabriel Attal pense que l’abaya n’a pas de place dans l’éducation des jeunes Français, quel exemple donne le gouvernement quand, une semaine après, il se montre publiquement aux côtés du pape? La France est loin de voir le choc des civilisations et des religions s’apaiser d’ici tôt. À l’inverse, il ne serait pas surprenant de voir la multiplication de ce phénomène.
Édité par Jo-Esther Abou Haidar
Annabelle de Fritsch is in her third year at McGill, doing an honor in International Development Studies and minoring in Political Science and World Islamic and Middle East Studies. She is a french staff writer for Catalyst 2023-2024 and has a particular interest for religious conflicts, especially in the MENA region.