L’échec de la lutte ambitieuse du président Andrés Manuel López Obrador contre la corruption de Pemex

L’échec de la lutte ambitieuse du président Andrés Manuel López Obrador contre la corruption de Pemex

La corruption au Mexique est omniprésente à tous les échelons de la politique et jusqu’au niveau présidentiel.  Selon l’indicateur établi par l’ONG Transparence International, le Mexique se place parmi les pays les plus corrompus, d’après la perception qu’en a le public (124e pays sur 180 en 2021). Face à l’ampleur des scandales de corruption concernant l’ancien président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, largement connu par ses initiales sous AMLO, fut élu triomphalement en 2018 pour son engagement contre la corruption et l’impunité.  Or, l’inefficacité des maintes stratégies anti-corruption mises en place montrent  l’échec de sa promesse. L’exemple de l’investigation des scandales au sein de Pemex souligne le manque d’engagement concret du gouvernement pour éliminer la corruption rampante. 

Petroleos Mexicanos (Pemex) est la compagnie pétrolière publique mexicaine. Il s’agit de la plus grande société mexicaine par revenu et de la deuxième en Amérique Latine. Or, ses prêts de $109 milliards de dettes en 2021, font de Pemex le géant pétrolier le plus endetté du mondeLa crise de production est de plus renforcée durant les trois dernières années, en raison de la corruption ayant compromis la politique de Pemex. Cette dernière a donc encouragé l’enrichissement de hauts fonctionnaires aux détriment de son développement au long terme. AMLO avait annoncé que son programme d’anticorruption serait une partie centrale dans la réforme énergétique et l’ouverture de Pemex aux investisseurs privés.  Le 18 mars 2022, à l’occasion du 84ème anniversaire de l’expropriation pétrolière, le président insista sur l’urgence d’éradiquer la corruption au sein de Pemex et de la Commission Fédérale d’Électricité (CFE). 

Ses propos sont contredits par l’inefficacité de l’investigation des hauts fonctionnaires impliqués dans ce qui pourrait être le plus grand scandale de l’histoire du Mexique. Emilio Lozoya, l’ex-patron de Pemex pendant le mandat du président Enrique Peña Nieto, avait été extradé de l’Espagne vers le Mexique début 2020 pour son implication dans le scandale du géant de construction brésilien Odebrecht. En 2012, Emilio Lozoya aurait accordé l’accès à des marchés publics en échange de $10.5 millions de pots-de-vin.  Le président AMLO a relancé la poursuite judiciaire de Lozoya qui à la suite des accusations de la compagnie Odebrecht s’était enfui en Allemagne puis en Espagne depuis 2019. Le géant brésilien dans la construction est à l’origine de l’un des plus grand scandale de corruption qui touche l’ensemble de l’Amérique Latine. En 2016, Odebrecht a plaidé coupable et dénoncé plusieurs dirigeants associés au réseau de corruption dont des hauts fonctionnaires de Pemex. Lors de son interrogation, Emilio Lozoya dénonça plusieurs membres du gouvernement, dont trois anciens présidents parmi lesquels l’ex-président Enrique Pena Nieto, d’avoir orchestré le réseau de corruption avec Odebrecht afin de financer sa campagne électorale de 2012

L’investigation aurait pu aider à débloquer le fléau de la corruption dans plusieurs secteurs au Mexique par la condamnation des hauts fonctionnaires qui contrôle ce système. Cependant, le manque de progrès dans la clarification des crimes de Emilio Lozoya et possiblement d’autres ex-fonctionnaires remet en question la sincérité du gouvernement d’AMLO pour résoudre la crise de l’impunité. Après quatre ans, le ministère public général de la République (Fiscalia General de la Republica) conclut que Emilio Lozoya et sa famille sont les seuls accusés de blanchiment d’argent, association criminelle et corruption. La FGR demande une condamnation qui pourrait aller jusqu’à la peine maximale de 39 ans de prison. Les autres figures politiques qu’Emilio Lozoya avait impliquées n’ont pas été condamnées par le tribunal à cause d’un manque de preuves. En effet, l’entièreté du procès s’appuie sur le témoignage de Lozoya afin de prouver l’implication d’autres hauts responsables. Le résultat minime de l’investigation pourrait aussi être marqué par l’interférence de Amlo, le manque d’indépendance institutionnel et de transparence. Le FGR est en théorie indépendant du pouvoir exécutif mais semble tout de même être contrôlé par une coalition proche du président AMLO. L’abandon des poursuites judiciaires contre Enrique Pena Nieto renforce aussi la rumeur autour d’un pacte d’impunité entre l’ex-président et AMLO en échange de soutien. Aucune poursuite en justice apolitique pour lutter contre la corruption ne semble donc réalisable sans véritable séparation des pouvoirs. 

La lutte contre la corruption de Pemex reste l’un des enjeux fondamentaux afin d’encourager la croissance économique et réduire la pauvreté au Mexique. L’entreprise est centrale dans l’économie mexicaine mais à cause de la crise de production, elle doit importer près de 70% des produits raffinés pour la consommation du pays. Le Mexique est passé d’exportateur à importateur de pétrole, dû au coût trop élevé du raffinage de pétrole par rapport à l’essence étrangère.  La fermeture de nombreuses infrastructures pétrolières ainsi que le licenciement de travailleurs n’a fait qu’augmenter la dépendance énergétique du Mexique. La mauvaise gestion de l’entreprise et sa dérive vers un but lucratif au bénéfice des hauts fonctionnaires plutôt que de développement national peut expliquer la crise de production.  De plus, le licenciement de salariés au profit de l’embauche de « fonctionnaires » ayant pour seul but de s’enrichir limite la productivité et augmente les inégalités sociales. De nombreux avertissement de cas de corruption au sein de Pemex étaient systématiquement ignorés. L’impunité pourrait donc devenir une incitation à la corruption. 

La corruption est l’un des problèmes politiques, économiques, et sociaux majeurs du pays.  S’inspirer des mesures et stratégies d’initiatives efficaces pour lutter contre la corruption dans d’autres pays pourrait apporter des solutions concrètes à ce mal endémique. Par exemple,  depuis l’implémentation de la Commission indépendante contre la corruption (ICAC) en 1974, Hong Kong est rapidement devenu l’un des pays les moins corrompus. Dans les années 1960 et 70, la corruption était omniprésente et plus particulièrement dans la police.  Sous la pression des manifestations, le gouvernement a créé L’ICAC, l’organisme spécialisé en matière de lutte contre la corruption par le biais de mesure pour l’application de la loi, la prévention, et l’éducation. Son indépendance totale du gouvernement permet de garantir son impartialité et ainsi de regagner la confiance du peuple. Au Mexique, le président AMLO a créé une Garde nationale dépendante du ministère de la défense pour résoudre le problème de corruption de la police.  Cependant, cette mesure renforcerait la militarisation de la sécurité publique en laissant le Mexique sans police fédérale supervisée par des organismes civils indépendants.  S’assurer de l’autonomisation des instituions et renforcer la surveillance civile dans le secteur de la sécurité devraient être essentiel dans les politiques d’AMLO pour intensifier la répression de la corruption nationale.  

Edité par Jo-Esther Abou Haidar

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