L’Europe de la Défense et L’OTAN, une coexistence est-elle possible?
Secretary General of the North Atlantic Treaty Organization Anders Fogh Rasmussen left welcomes Defense Ministers to NATO Headquarters in Brussels. June 9th 2010. Master Sgt. Jerry Morisson, U.S. Air Force

L’Europe de la Défense et L’OTAN, une coexistence est-elle possible?

La guerre en Ukraine a redonné un souffle à l’Organisation du traité de l’Atlantique du Nord (OTAN) en la remettant au centre de l’attention de par le support matériel des forces ukrainiennes se battant pour leur pays contre l’invasion russe. Cependant, cela semble aller en directe opposition aux intérêts du projet européen d’une Europe de la Défense qui vise à faire de l’Union européenne un acteur puissant sur la scène internationale. Est-il encore possible pour l’Europe de devenir une force indépendante, ou bien la guerre a confirmé l’hégémonie de l’OTAN en matière de sécurité, reléguant l’Union européenne à un rôle secondaire sur la scène internationale?   

Si l’on se réveillait d’un coma d’un an et que l’on comparait la situation actuelle de l’OTAN par rapport à la dernière fois que l’on était réveillé, nos chances de retomber dans les pommes seraient élevées. Sans parler du fait que c’est tout de même assez bizarre que cela soit notre premier réflexe, il est tout à fait rationnel de dire que de toutes les choses auxquelles on ne s’attendait pas, celle-ci était facilement dans le top cinq.

 En effet, il est important de se rappeler qu’avant le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie au petit matin du 24 février 2022, les mots d’Emmanuel Macron en 2019 dans le journal The Economist argumentant que l’OTAN était dans un état de “mort cérébrale”  décrivaient crûment, mais de manière pertinente, la situation dans laquelle l’alliance se trouvait. Les tensions entre les États-Unis et les autres membres de l’alliance sur leurs dépenses militaires soulignaient les différentes visions du monde de ces derniers. De plus, la Turquie semble de plus en plus être en opposition avec le reste des pays membres de l’alliance. Ces dissensions donnaient l’impression que l’OTAN, un symbole de l’union des pays occidentaux, était devenue un organisme dépassé qui ne s’était pas adapté aux enjeux contemporains. 

Dans le cas de la défense européenne, le problème était plus simple: trouver une raison pour les pays membres d’investir dans cette dernière. Malgré le fait que le projet d’une Union européenne comme acteur majeur sur la scène géopolitique et stratégique mondiale date des traités de Maastricht et entériné avec le sommet de Saint-Malo en 1998, cette ambition est pour l’instant restée lettre morte. Bien que certaines missions aient été entreprises, une armée européenne à proprement parler avec un commandement intégré et des moyens conséquents, mais aussi une coordination diplomatique des pays membres afin d’avancer comme un ensemble uni sur la scène internationale n’ont pas vu le jour. 

Cela peut être lié au fait que certains pays membres, l’Allemagne en particulier, étaient réticents à investir une partie conséquente de leurs ressources dans une formation qu’ils considéraient comme inutile étant donné l’absence de menaces à la sécurité de l’Europe. Il est difficile de leur en vouloir, lorsque l’on se souvient que l’Europe n’avait pas connu de guerre à haute intensité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et que leur sécurité est assurée par les États-Unis à travers l’alliance. De ce fait, les projets d’une Europe de la Défense et de l’OTAN, bien que vitaux pour la sécurité de l’Europe, étaient simplement perçus comme des sujets de sécurité qui n’étaient pas des questions sensibles pour le continent de la paix. Tout cela a changé avec l’Ukraine. 

En effet, non seulement l’invasion du territoire ukrainien par les forces russes bafoue toutes les lois du droit international et de souveraineté, mais la rhétorique utilisée par les proches de Poutine pour défendre cette dernière souligne la dangerosité d’un régime qui semble jouer son va-tout. De par les menaces de coupure d’approvisionnement de gaz naturel aux pays membres, mais aussi un discours n’excluant pas la possibilité d’actions militaires contre les pays baltes, ou encore de manière plus récente, l’usage de l’arme nucléaire, les pays européens ont réagi afin de se protéger de cette menace, et ces réactions ont ressuscité l’OTAN. 

En moins de trois mois après le début de la guerre, la Suède et la Finlande, deux pays qui étaient restés neutres durant la guerre froide, ont décidé de rejoindre l’alliance. Les pays membres de l’alliance ont déployé des moyens militaires dans les pays baltes afin de renforcer leur dissuasion face à l’armée russe, mais surtout, l’alliance s’est engagée à aider l’armée ukrainienne matériellement depuis le début du conflit. Tout cela souligne le fait que pour une grande partie des pays européens, la solution au danger russe repose dans un renforcement de l’OTAN. Cette alliance, qui moins de quelques mois avant le début de l’invasion semblait être dépassée, est redevenue le centre de gravité de l’Occident face à la Russie. 

Dans cette situation, le futur de l’Europe de la Défense semble ainsi être encore plus compromis. En effet, les membres de l’alliance ont massivement investi dans leurs forces armées afin de les remettre à niveau en achetant massivement du matériel américain de dernière technologie. De plus, les Américains eux-mêmes, formant la première puissance militaire du monde et de l’alliance, déploient à nouveau un nombre de troupes conséquent en Europe pour être prêts à répondre rapidement en cas d’agression sur un allié européen, une première depuis la fin de la guerre froide. 

Ainsi, nous pouvons nous demander s’il est nécessaire d’investir du temps et beaucoup de ressources dans la création d’une force militaire indépendante quand les besoins de sécurité sont déjà accomplis par l’alliance. Cependant, une approche plus productive de la question serait de voir ces deux entités non pas comme rivales, mais comme complémentaires. 

Bien que l’alliance trouve sa force dans la puissance militaire qu’elle concentre, cette dernière est dépourvue de tout autre instruments lui permettant d’agir sur la scène internationale. Elle ne joue pas un rôle diplomatique comme l’Organisation des  Nations unies par exemple. En contrepartie, l’Union européenne (UE) est rompue aux travaux de négociations et de diplomatie, non seulement sur la scène internationale, mais aussi au sein de l’UE elle-même. C’est dans cette optique que l’Europe de la Défense est pertinente à court terme. Bien que les capacités militaires européennes se reposent sur l’OTAN, la capacité d’influence internationale de l’Union, elle, ne peut se faire qu’à travers ce projet intrinsèquement européen.  

De la même manière, l’UE, au moyen terme, est vouée à développer une force militaire pour se défendre du fait du déplacement des intérêts américains vers l’Indo Pacifique. L’ascension de la Chine comme nouvelle puissance mondiale, au point de remettre en question l’hégémonie américaine, a forcé les États-Unis de changer leur centre d’attention dans la région afin de répondre aux actions de la Chine. Ce changement ouvre la voie à l’Europe de la Défense. En effet, bien que le centre d’attention des États-Unis ne soit plus l’Europe, l’UE et, plus précisément, les membres de l’OTAN au sein de l’UE restent les alliés les plus proches de Washington. Dans cette optique, renforcer l’influence géopolitique de l’Union à travers une force indépendante est un intérêt à la fois pour les Européens, mais aussi pour les Américains

Ainsi, la coexistence de l’Europe de la défense et de l’OTAN n’est pas qu’une possibilité, mais une nécessité à la fois pour l’Europe et pour les autres membres de l’alliance. C’est à travers une combinaison des capacités de ces deux organisations que l’UE peut renforcer son influence sur les enjeux internationaux de sécurité et de défense qui, malgré ce que tout le monde pensait avant le 24 février 2022, restent des questions centrales pour tout gouvernement au 21e siècle.

Edité par Lauren Kandalaft

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *