Pour beaucoup, le réchauffement climatique peut sembler un problème distant, voire inexistant. Pourtant, dans de nombreux pays aux réalités géographiques et démographiques contrastées, ses effets se font déjà lourdement sentir, exacerbant des difficultés profondément enracinées. Au Bangladesh, la contamination de l’eau par l’arsenic touche 68,3 millions de personnes. La tragédie risque de s’aggraver en dépit des efforts des autorités qui peinent à la réfréner. Ce fléau s’ajoute aux défis persistants de la pauvreté et de la pollution des ressources hydriques, soulignant l’urgence d’une réponse mondiale face aux impacts dévastateurs du changement climatique.
Catastrophe environnementale actuelle
Le Bangladesh fait face à des défis environnementaux considérables, exacerbés par sa géographie unique, sa forte densité de population et des pratiques industrielles néfastes. Les inondations, fréquentes dans cette région, représentent un fléau permanent : les crues de 1988 et 1998 ont submergé jusqu’à 70% du territoire, tandis qu’environ 20 % du pays est inondé chaque année. Ces catastrophes naturelles, principalement dues à la fonte des glaciers himalayens et à la saison des moussons, menacent de plus en plus les communautés locales et les infrastructures essentielles. Parallèlement, la pression croissante pour répondre aux besoins en logements et en infrastructures routières intensifie la déforestation, favorisant l’accumulation des eaux fluviales et intensifiant les risques d’inondations. La montée du niveau de la mer constitue également une menace imminente pour un pays où plus de 75% des terres se situent à moins de trois mètres au-dessus du niveau de la mer.
L’industrie du « fast fashion » au Bangladesh, l’une des plus grandes consommatrices d’eau au monde, exerce une pression colossale sur les ressources hydriques. L’industrie contribue massivement aux émissions mondiales de dioxyde de carbone. Lacs et rivières sont quotidiennement asphyxiés par une pollution galopante due à l’utilisation excessive de fertilisants agricoles, aux rejets industriels, et à des catastrophes écologiques d’envergure. L’une des plus marquantes s’est produite en 2014, lorsqu’une marée noire a déversé 350 000 litres de pétrole dans le delta du Gange, infligeant des séquelles durables à cet écosystème vital.
La contamination à l’arsenic
La contamination des eaux par l’arsenic au Bangladesh constitue une crise sanitaire majeure, décrite par l’Organisation mondiale de la Santé comme le « plus grand empoisonnement de masse de l’histoire ». Cette tragédie, estimée plus meurtrière que l’accident nucléaire de Tchernobyl, touche des millions de personnes. Invisible à l’œil nu, l’arsenic n’a ni goût, ni odeur, ni couleur, rendant sa détection impossible sans équipements spécialisés. Une exposition prolongée, sur une période de 2 à 10 ans, accroît considérablement les risques de maladies graves liées à l’arsenicose : manifestations dermiques, cancers, maladies cardiovasculaires, toux chroniques, asthme, etc. À ce jour, aucun traitement rapide n’existe pour contrer ses effets..
La découverte de l’arsenic dans les puits du Bangladesh remonte à 1993. Face à l’ampleur du problème, le gouvernement a mis en œuvre des mesures pour sensibiliser la population et améliorer l’accès à une eau potable plus sûre. Entre 2000 et 2003, plus de 5 millions de puits ont été testés, et environ 29,1 % se sont révélés contaminés à des niveaux supérieurs à 0,05 mg/L, dépassant le seuil dangereux pour la santé. Pour aider les habitants à identifier les puits sûrs, ceux contaminés ont été peints en rouge, tandis que les puits non contaminés étaient marqués en vert. En 2005, environ 38 % de la population à risque avait accès à une eau potable saine, un chiffre qui est monté à 54,4 % en 2009. Pourtant, malgré ces avancées, un tiers des puits supposés sûrs sont aujourd’hui inutilisables ou défectueux, en raison de problèmes techniques, un faible entretien, de contamination récurrente ou de leur éloignement géographique, freinant les efforts pour résoudre ce drame.
Aujourd’hui, bien que plus de 98 % des habitants du Bangladesh aient accès à une source d’eau potable, 97 % de la population dépend encore des puits, dont seulement 59 % fournissent une eau véritablement propre à la consommation. Cette eau contaminée expose les habitants à de nombreux risques sanitaires, tels que la présence du virus de l’E. coli et, plus gravement, une exposition généralisée à l’arsenic, qui touche particulièrement les communautés les plus défavorisées. Plus de 86 % des familles se retrouvent avec de l’eau contaminée par le virus de l’E. coli. Cette contamination touche particulièrement les plus démunis, avec 20 % des plus pauvres souffrant trois fois plus de maladies gastro-intestinales liées à l’assainissement de l’eau. Les zones côtières, déjà fragilisées par les catastrophes climatiques provenant du Golfe du Bengale, sont les plus vulnérables. Ces événements extrêmes perturbent les systèmes d’approvisionnement et d’assainissement, forçant de nombreuses familles à recourir à des sources d’eau insalubres, exacerbant les risques pour leur santé.
Environ 49 % des régions du pays présentent des puits contenant des concentrations d’arsenic supérieures à 0,01 mg/L, le seuil recommandé par l’Organisation mondiale de la Santé, exposant plus de 68,3 millions de personnes à des risques graves de complications médicales. De plus, 13% des puits affichent des concentrations supérieures à 0,05 mg/L, le seuil acceptable au Bangladesh. Une concentration d’arsenic de 0,05 mg/L est associée à un cas de cancer supplémentaire pour 100 personnes exposées. Chaque année, on estime que plus de 43 000 décès sont attribuables à l’arsenic présent dans l’eau. Les populations les plus pauvres sont particulièrement vulnérables, aux conséquences de l’arsenicose, en raison de la malnutrition et d’un déficit en protéines. Les désavantages nutritionnels engendrent aussi un retard de croissance et d’apprentissage significatif sur les enfants de moins de 5 ans.
La contamination à l’arsenic ne se limite pas à l’eau potable ; elle affecte aussi l’agriculture lorsque des eaux contaminées sont utilisées pour irriguer les cultures. Une étude récente a révélé que les changements chimiques dus à la montée du niveau de la mer pourraient intensifier la libération d’arsenic à partir des sédiments. Selon cette recherche, la réduction des concentrations d’oxygène dissous dans l’eau, causée par l’élévation du niveau de la mer, favorise un processus chimique qui libère l’arsenic des sédiments. L’intrusion d’eau salée provenant de la mer augmente la salinité de l’eau des nappes phréatiques, exacerbant ce phénomène. Les chercheurs avertissent que l’intensification des inondations et des tempêtes en durée et en étendue aggravera cette situation, touchant aussi bien le sud que le nord du pays.
La contamination de l’eau par l’arsenic s’ajoute aux nombreux défis environnementaux de notre époque, soulignant l’urgence d’une réponse globale face à ces crises sanitaires et écologiques de plus en plus intenses. Cette crise doit être un appel à la solidarité internationale pour soutenir les populations les plus vulnérables et les aider à s’adapter aux nouvelles réalités de leurs environnements. Par exemple, des fonds supplémentaires devraient être alloués à l’entretien et à la réparation des puits déjà existants, ainsi qu’aux services d’assainissement de l’eau. Des efforts collectifs visant à améliorer la collecte des eaux de pluies et à développer des cultures moins gourmandes en eau sont essentielles. Cette catastrophe rappelle également la nécessité urgente de repenser en profondeur les pratiques industrielles actuelles, dont les impacts à long terme mettent en péril non seulement les écosystèmes, mais aussi des vies humaines.
Éditée par Sofia Germanos.
Cet article a été écrit par un membre de l’équipe rédactionnelle. Catalyst est une plateforme dirigée par des étudiants qui favorise l’engagement avec les enjeux mondiaux dans une perspective d’apprentissage. Les opinions exprimées ci-dessus ne reflètent pas nécessairement les points de vue de la publication.