La Petite-Bourgogne, berceau de la communauté noire historique du Québec
Sans Titre Crédits de la photo: "Communauté Noire Mtl" de Sophia Ocana publié le 3 Mai 2023

La Petite-Bourgogne, berceau de la communauté noire historique du Québec

L’un des mythes les plus courants au Québec est que la communauté noire de Montréal soit entièrement issue d’une immigration récente. Bien qu’une grande portion des Noirs au Québec soit nouvellement immigrante de la francophonie antillaise et africaine, l’histoire de la communauté noire du Québec s’étend sur plus de 400 ans. En effet, les premiers Noirs Québécois ont débarqué contre leur gré sur le territoire québécois soit à l’époque de la Nouvelle-France, c’est-à-dire en raison de la colonisation française. Depuis, des milliers de Noirs ont résidé au Québec et y ont laissé un héritage culturel important. En particulier, le quartier de la Petite-Bourgogne à Montréal, reconnue aujourd’hui comme le centre de la communauté noire au Québec, témoignent de l’évolution de la communauté noire anglophone dans la province puisqu’elle l’a accueilli depuis l’industrialisation. Les premiers Noirs ayant résidé dans la Petite-Bourgogne, originellement connue sous le nom de Faubourg Saint-Antoine, ont offert un précieux patrimoine culturel à ce quartier, dont une église pour les Noirs, des organisations noires et la musique jazz. Étant donné que l’héritage laissé par les communautés historiques noires québécoises n’est pas suffisamment reconnu, il est primordial de partager et reconnaître l’histoire des Noirs sur le territoire québécois.

Alors qu’en 1606 le premier homme Noir et libre, Mathieu Da Costa, arrive en Nouvelle-France afin d’occuper le rôle d’interprète entre les colonisateurs français et les Autochtones en Nouvelle-France, l’année 1628 est marquée par l’arrivée d’Olivier Le Jeune, le premier esclave noir au Québec. Celui-ci sera succédé de près de 3000 esclaves noirs jusqu’en 1834. Durant la période esclavagiste au Québec, nombreux esclaves des États-Unis ont notamment utilisé un chemin de fer clandestin afin de rejoindre le Canada. À la suite de la Conquête de la Nouvelle-France, d’autres membres de la population noire, majoritairement des anciens esclaves, intègrent le Québec en devenant Loyalistes. Les Loyalistes blancs sont aussi accompagnés d’esclaves noirs à l’époque. Bien que le quotidien des premiers Noirs au Québec se résume à l’esclavage, ceux-ci connaitront une tout autre réalité lorsque l’esclavagisme sera aboli en 1834.

En effet, la Loi sur l’abolition de l’esclavage est adoptée plus de 200 ans après l’arrivée du premier esclave au Québec et rend l’esclavagisme officiellement illégal. Malgré la loi, la majorité des Noirs continuent à être maltraités en occupant des métiers mal payés et de faible statut alors que certains parviennent à ouvrir des entreprises. Les membres de la communauté noire du Québec travaillent majoritairement en tant qu’ouvriers et participent à la construction des chemins ferroviaires canadiens, tout comme le Grand Trunk Railway ainsi que les Chemins de fer nationaux du Canada. Éventuellement, soit en 1870, afin de travailler en tant que porteurs dans les voitures-lits et voitures-restaurants des chemins de fers au Canada, de nombreux Noirs des États-Unis s’installent au Québec et sont rejoints par leurs familles. Étant donné la proximité avec leurs lieux de travail, la communauté noire ouvrière du 19ème siècle s’installe à Saint-Antoine, aujourd’hui la Petite-Bourgogne. La communauté noire sera longtemps confinée à la Petite-Bourgogne puisqu’elle fera face à des contraintes immobilières discriminatoires qui dureront pendant des décennies.

Depuis son installation en Petite-Bourgogne, la communauté noire participe pleinement au développement de la conscience communautaire dans le secteur. En particulier, le Coloured Women’s Club (CWC) est fondé en 1902 afin de rassembler les femmes noires de la Petite-Bourgogne et de leur apporter un soutien moral et psychologique face aux mouvements menées par les femmes blanches visant à exclure les femmes issues de minorités ethniques. Puis, en 1907, l’église Union Congregational voit le jour afin de servir comme lieu de recueillement et de socialisation pour les Noirs à Montréal faisant face à la ségrégation et la discrimination. En 1918, les porteurs noirs créent aussi leur propre syndicat, l’Order of Sleeping Car Porters. Aussi, en 1919, des Antillais vivant à Saint-Antoine fondent le Universal Negro Improvement Association (UNIA) pour exprimer leur fierté d’appartenir à la communauté noire et lutter contre le racisme. Plus particulièrement, durant les années 1920, marquent l’âge d’or de l’histoire des Noirs à Montréal, nombreux Noirs gèrent des boîtes de nuit, des maisons de jeu et des bordels. La ville de Montréal, plus précisément le secteur de Saint-Antoine, sera éventuellement reconnue pour sa populaire industrie de la musique en devenant un endroit historique pour le jazz en partie grâce à Oscar Peterson. En 1927, le Negro Community Center (NCC) sera aussi créé pour outiller la communauté noire avec des services sociaux nécessaires pour assurer son bien-être et sa vitalité.

Depuis, la ville de Montréal a accueilli des milliers d’individus Noirs pour diverses raisons. Que ce soit dans les années 1950 pour travailler comme domestiques, dans les années 1960 pour fréquenter des universités québécoises ou dans les années 1970 pour fuir des régimes politiques anti-démocratique, la communauté noire québécoise s’est largement agrandie. De nos jours, les Noirs représentent d’ailleurs plus de 10% de la population immigrante de la province, démontrant qu’ils appartiennent à une communauté continuellement en croissance. Cependant, ceux-ci continuent à faire face au racisme et au profilage racial malgré la lutte acharnée de la communauté noire ayant précédé la communauté noire actuelle. En effet, la création du Black Coalition of Quebec en 1969 visant à défendre les droits civils des Noirs et sensibiliser la société québécoise à la discrimination dont ils font face n’a pas suffi pour éradiquer la discrimination des Noirs jusqu’à ce jour.

Aujourd’hui, les citoyens de la Petite-Bourgogne, une communauté noire anglophone vivant dans le secteur depuis des décennies, estiment que l’histoire des Noirs y ayant vécu est insuffisamment reconnue. En effet, en 2014, le site du Negro Community Centre a été démoli, éliminant un lieu précieux pour la reconnaissance de l’histoire des Noirs au Québec. Les Noirs de la région doivent ainsi innover et adopter de nouvelles initiatives pour célébrer la communauté noire historique du Québec. De ce fait, malgré les difficultés auxquelles elle fait face, la communauté noire de la Petite-Bourgogne planifie de construire un espace réservé pour l’histoire des Noirs dans le secteur. Celle-ci croit aussi que l’histoire des Noirs devrait être aussi davantage enseignée dans les établissements scolaires, que ce soit dans le cadre des cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté et d’Éthique et culture religieuse ou à travers la lecture de romans traitant des personnalités et des communautés noires historiques du Québec.

Tenant compte de la richesse de l’histoire de la communauté noire du Québec, il est nécessaire de partager le portrait de l’héritage de cette communauté à notre société québécoise d’aujourd’hui. Une partie importante de la communauté noire au Québec est historique. Des milliers de Noirs vivant au Québec ont des ancêtres ayant vécu dans la province il y a plus de 400 ans. Étant donné leur historicité, les Noirs au Québec doivent d’autant plus être reconnus comme des Québécois malgré l’identité québécoise stéréotypée qui reconnaît la communauté blanche, francophone et catholique comme étant québécoise. De ce fait, il faut mettre fin à des décennies d’erasure au Québec puisque la communauté noire y est implantée depuis son foisonnement. Bien qu’on préfère se comparer aux États-Unis, où on estime que la réalité des Noirs a été et est toujours bien pire, il est impératif de se rappeler que l’esclavage et la ségrégation existaient sur le territoire canadien et que le racisme y est toujours présent. Il est particulièrement indispensable que l’on reconnaisse les erreurs du passé de notre société québécoise pour en tirer des précieuses leçons et finalement discerner la place égale des Noirs comme Québécois.

Edité par Augustin Bilaine

 

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