L’ article premier de la constitution française menace-t-il les droits des peuples autochtones ?

L’ article premier de la constitution française menace-t-il les droits des peuples autochtones ?

On parle fréquemment de certains pays tels que le Canada, les Etats-Unis ou encore le Brésil pour dénoncer le traitement qu’ils réservent aux peuples autochtones. Or, en France aussi, les droits des peuples autochtones dans les départements français d’Outre mer sont ignorés. Aujourd’hui, six peuples autochtones vivent en Guyane française: les Kali’na, les Pahikweneh, les Lokono, les Wayana, les Wayapi et les Teko. On estime qu’ils sont entre 9 000 et 12 000, soit moins de 5% de la population totale de la Guyane. Très attachés à leur territoire et aux pratiques traditionnelles, ce sont des acteurs importants dans la protection de l’environnement. Cependant, ils font face à un dispositif foncier qui néglige leurs droits d’accès à la terre et aux ressources. 

Colonisée par la France dès le XVIème siècle, la Guyane française a été érigée en département d’Outre-mer en 1646. L’État légitimise sa souveraineté à l’ensemble du territoire sur le fondement de terra nullius, des terres vacantes et sans maîtres. Ainsi, les premiers habitants sont dépossédés de leurs terres. Les campagnes dites de « francisation » de 1964 à 1969 ont étendu davantage l’emprise de l’Etat et menacé les identités des peuples autochtones. Elles marquent la concrétisation de la citoyenneté française des peuples autochtones et donc leur assimilation aux structures étatiques et juridiques de la France. En 1987, Jacques Chirac signe le décret 87-267, qui met en place deux dispositifs: les zones de droits d’usage collectif (ZDUC), d’une part, les concessions et cessions collectives, d’autre part. Depuis son instauration, 15 ZDUC, 9 concessions collectives, et 3 cessions collectives ont été créées, représentant 8% de la superficie du territoire guyanais. Les concessions et cessions collectives permettent de reconnaître aux communautés d’habitants le droit d’occuper une terre appartenant à l’Etat. Les ZDUC, quant à elles, sont des aires dont les communautés peuvent utiliser les ressources naturelles. Les dispositifs fonciers permettent de préserver le mode de vie des communautés basé sur des activités traditionnelles telles que la chasse ou la pêche. Cependant, les droits fonciers attribués aux autochtones restent limités et fragilisés par la possibilité d’être annulés par un préfet. Aujourd’hui, l’État français est propriétaire de 95,8% de la superficie du territoire guyanais, contre moins de 1% pour les communes et la collectivité territoriale de Guyane (CTG). L’accès au foncier est primordial pour préserver non seulement les activités économiques mais aussi les savoirs traditionnels et la diversité biologique.

Les principes constitutionnels d’égalité et d’indivisibilité de la République freinent l’étendue des droits fonciers et la reconnaissance identitaire des peuples autochtones. Parmi les 23 pays qui ont ratifié la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) relative aux peuples indigènes et tribaux, quinze sont en Amérique du Sud ou centrale. La Déclaration permet de reconnaître les spécificités culturelles indéniables des populations puis de mettre un terme à l’exclusion des communautés autochtones du système juridique international et de préserver leurs cultures et modes de vie traditionnels. Auparavant, le mode unique d’accès au foncier était la propriété privée individuelle. À travers la convention 169, la communauté internationale accorde une reconnaissance inédite aux droits collectifs des peuples autochtones pour garantir l’ensemble de leurs droits fondamentaux. Les droits autochtones sont, par définition, des droits collectifs qui découlent de l’attachement des descendants à la terre ancestrale. Il s’agit de droits exercés par des individus autochtones qui s’organisent en peuples. Alors que la majorité des pays du bassin amazonien reconnaissent le statut spécifique des peuples autochtones, la France n’a pas ratifié la convention 169 car elle refuse l’existence même de peuples distincts avec diverses identités au sein des citoyens français. L’attribution de droits spécifiques  à certains individus en fonction de leur origine ethnique et la prévalence de droits collectifs sur les droits individuels est vue comme incompatible avec l’article premier de la constitution française qui institutionnalise le principe d’indivisibilité de la République et l’unicité du peuple. Le principe constitutionnel d’égalité des citoyens prendrait donc déjà en compte les aspirations exprimées par les populations autochtones. Or, appeler à l’uniformité pour refuser la diversité des identités et cultures ne va-t-il pas à l’encontre des principes d’egalité et de non-discrimination? L’assimilation des peuples autochtones dans un modèle de pensée unique est donc vue comme une nouvelle illustration d’un régime néocolonial. Dans son rapport du 27 août 2010, Le Comité de l’ONU pour l’elimination de la discrimination raciale (OHCHR) a appelé le gouvernement français à ratifier la convention. 

Depuis le début du mouvement de revendication identitaire des peuples autochtones dans les années 1980, la principale demande concerne la reconnaissance des droits fonciers des autochtones. La démarche en Guyane s’inscrit dans celles que nous observons au Brésil, en Nouvelle-Calédonie ou au Canada. Comme dit précédemment, la relation avec les territoires ancestraux est au cœur de l’identité des peuples autochtones en Guyane française. De nombreuses communautés décident d’être autonomes dans la gestion de leurs ressources par la préservation d’activités traditionnelles telles que la chasse, la pêche, l’essartage dit agriculture sur bruli et la cueillette. La pratique de l’essartage plus particulièrement suppose la rotation des parcelles, donc de vastes territoires. Ainsi, la restitution des terres est au centre des revendications autochtones. Face au monopole foncier étatique et à l’implémentation des projets étrangers d’exploitation minière ou forestière sans l’accord des peuples, la Fédération des Organisations Autochtones de Guyane (FOAG) revendique « une reconnaissance de leurs droits sur ce territoire ». En effet, alors que les peuples autochtones luttent depuis plus de 30 ans pour leurs droits fonciers, des multinationales obtiennent des terres en seulement quelques mois. La société française HDF Energy a notamment eu l’autorisation en moins de 10 mois d’implanter son projet de centrale électrique sur un territoire promis par la France aux peuples autochtones depuis des décennies. Le projet industriel prévu pour 2024 sera à moins d’un kilomètre du village de Prospérité et encerclera toute la partie Est du village. Il s’agit d’un village Kali’na d’environ 300 habitants engagé dans un processus d’autonomisation afin de lutter contre l’anéantissement des traditions autochtones sous l’effet de la globalisation. Depuis la découverte du programme de centrale électrique à la fin de l’année 2018, les habitants manifestent contre son installation et affirment ne pas avoir été directement informés. Quoi qu’il en soit, les travaux d’envergure ont déjà commencé suite à l’important soutien de l’Etat et la demande de classer le village Prospérité en zone de droit d’usage collectif refusé. Ce conflit d’usage du foncier fait pour certains écho aux méthodes de l’empire colonial français. 

Le développement d’énergies renouvelables se réalise au détriment des populations autochtones mais aussi de l’environnement. En effet, la centrale à hydrogène de HDF Energy détruirait 50 hectares de forêt amazonienne. Ainsi, au nom de la croissance « verte » de la centrale, la biodiversité et de nombreuses espèces sont menacées. D’autres projets tels que l’exploitation minière «Montagne d’or» ont aussi un impact désastreux sur l’environnement et les droits fonciers des peuples autochtones. En 2011, le consortium canado-russe prévoyait que « Montagne d’Or » devienne la plus grande mine d’or en France. Selon un sondage de l’IFOP de juin 2018 commandé par le WWF, 69% des Guyanais sont opposés à la réalisation de la nouvelle mine. Suite à la vigueur de l’opposition locale puis au combat juridique et politique international, le gouvernement abandonna le projet. En effet, de nombreux collectifs et associations locales, organisations de défense de l’environnement, et l’ONU se sont mobilisés. Le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale dénonça la violation des droits autochtones, l’absence de consentement préalable, et l’incohérence avec les engagements internationaux de la France liés à la mise en oeuvre du projet. 

D’après Elliott Harris, l’économiste en chef des Nations Unies, garantir les droits collectifs des peuples autochtones sur les terres et la gestion de leurs ressources contribuerait à leur bien être mais aussi à celui de la planète. Les peuples autochtones sont souvent décrits comme « les gardiens des précieuses ressources de notre Terre», car leur mode de vie est profondément lié à leur relation spirituelle avec la terre.

Edité par Jo-Esther Abou Haidar



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