Lorsque les voix dans les urnes ne correspondent pas à celles à l’Assemblée nationale
Crédits de la photo: Sans titre par Geneviève Tremblay, publiée le 7 septembre 2021, sous licence Unsplash, aucun changement effectué.

Lorsque les voix dans les urnes ne correspondent pas à celles à l’Assemblée nationale

Le 3 octobre dernier, le parti politique Coalition avenir Québec (CAQ) mené par François Legault a remporté pour une seconde fois les élections provinciales québécoises. Bien que la CAQ n’ait récolté que près de 41% des votes, celle-ci a remporté 90 sièges à l’Assemblée nationale, soit 72% des 125 sièges disponibles, lui décernant un pouvoir majoritaire malgré la volonté des électeurs québécois. A contrario, certains des partis lui opposant, tout comme le Parti québécois (PQ) et le Parti conservateur du Québec (PCQ) ayant respectivement décroché 14,61% et 12,91% des votes, se sont vus octroyés que trois sièges pour le PQ et zéro pour le PCQ. De telles distorsions injustes dues à notre mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour démontrent le besoin urgent de réformer le mode de scrutin actuel afin d’obtenir une égalité politique et une réelle démocratie représentative. Lors d’un entretien avec Dr Éric Bélanger, professeur-chercheur en sciences politiques à l’Université McGill particulièrement concerné par la politique canadienne et québécoise, celui-ci a notamment affirmé « [qu’] il y a des voix qui se font entendre dans les urnes et qui ne se font pas entendre à l’Assemblée nationale ».

Lors des dix dernières élections générales, la plupart des gouvernements québécois ont remporté la majorité du pouvoir avec moins de la moitié des votes. Cette injustice antidémocratique est une conséquence explicite du mode de scrutin actuel. Le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour est un système électoral impliquant une seule période de vote où les électeurs votent que pour le représentant de leur circonscription, et non pour le futur dirigeant de leur région, qui est conséquemment élu en remportant la majorité des votes. Ce mode de scrutin à la Westminster, hérité du Royaume-Uni, introduit des distorsions entre les votes et la représentation à l’Assemblée nationale. Ces disparités ont tendance à bénéficier les gagnants, soit la CAQ, et pénaliser les plus petits partis, tout comme Québec solidaire (QS) et ses pairs élus minoritairement selon Dr Bélanger. Bien que le mode de scrutin actuel implique des avantages tels qu’une stabilité gouvernementale et une facilité à adopter des projets de loi, celui-ci échoue significativement à représenter la diversité des préférences politiques de l’électorat.

Seulement, la question de réformer le mode de scrutin ne date pas des dernières élections provinciales. En effet, en mai 2018, François Legault, accompagné des chefs du QS, PQ ainsi que du Parti vert du Québec, a signé un engagement visant à réformer le mode de scrutin actuel pour les élections de 2022 en reconnaissant son iniquité. Le projet de loi 39, promettant de remplacer notre mode de scrutin par un mode de scrutin proportionnel mixte, a pourtant été abandonné par M. Legault en décembre 2021 – décevant les électeurs québécois qui désirent avoir un vote qui est justement représenté à l’Assemblée nationale. Ce mode de scrutin, adopté en Allemagne et en Nouvelle-Zélande, inclut deux votes sur un même bulletin de vote, soit un pour élire le candidat de sa circonscription ainsi qu’un pour choisir la formation politique provinciale. Dans le cadre de mon entretien avec Dr Bélanger, je lui ai demandé les possibles raisons derrière cet abandon. Le professeur en sciences politiques a notamment répondu qu’une fois qu’un parti parvient à remporter les élections à l’aide de notre mode de scrutin actuel, celui-ci finit par voir ses vertus. Pour citer Dr Bélanger, « le gagnant gagne tout [le pouvoir] donc pourquoi voudrait-il partager le pouvoir? »

En revanche, une réforme du mode de scrutin est-elle vraiment viable? Selon le professeur de l’université McGill, celle-ci demanderait des changements importants à nos mœurs politiques qui seront difficiles au départ, mais qui pourront se réaliser sur le long terme. Le remplacement de notre mode de scrutin actuel par le mode de scrutin proportionnel mixte exigerait surtout une adaptation de la part des députés élus puisqu’un système mixte implique énormément de compromis et de négociations de la part des partis qui forment le gouvernement. Étant donné notre familiarité avec les institutions politiques britanniques, les négociations politiques ne font pas nécessairement partie de nos habitudes politiques; c’est pourquoi une réforme engendrerait des ajustements. Néanmoins, ces ajustements sont tout à fait réalisables d’après Dr Bélanger. Essentiellement, réformer ou non le mode de scrutin actuel dépend de la volonté des citoyens québécois et de leur préférence entre une stabilité gouvernementale ou une représentativité équitable. Et malheureusement, l’envie de réformer notre mode de scrutin n’est pas suffisamment présente au sein des électeurs québécois selon les dires du chercheur.

Néanmoins, le Mouvement démocratie nouvelle (MDN) s’efforce de garder l’idée d’une réforme vivante. Cette organisation, menée par Jean-Pierre Charbonneau, ancien président de l’Assemblée nationale, désire faire adopter un mode de scrutin proportionnel mixte avec liste régionale au Québec. Depuis plusieurs années, le MDN vise à sensibiliser les Québécois aux enjeux du mode de scrutin uninominal à un tour, particulièrement en faisant de la prévention sur les réseaux sociaux ou même en collaborant avec des créateurs de contenu québécois afin de diffuser leur mission à un plus grand public et d’inciter leur mobilisation. Le 29 novembre dernier, celui-ci, avec l’aide de Mobilisation citoyenne pour la réforme du mode de scrutin (MCRS), a d’ailleurs réussi à réunir plus de 200 manifestants à Québec qui se sont mobilisés pour une réforme du scrutin. Bien que le MDN ait grandement contribué au projet de loi 39, l’organisation doit continuer à rallier les Québécois et interpeller les dirigeants afin d’assurer une réelle réforme du mode de scrutin.

Malgré les efforts du MDN, Dr Bélanger prévoit que le bipartisme risque vraisemblablement d’être réinstauré au Québec. D’après l’expert en sciences politiques québécoises, nous sommes dans une situation exceptionnelle où plusieurs partis s’opposent pour le pouvoir. Compte tenu de notre mode de scrutin visiblement injuste, ces partis vont éventuellement fusionner ou, tout simplement, disparaître parce qu’ils seront découragés de continuellement perdre, ne pas pouvoir mettre en place leur programme et gaspiller leurs ressources humaines et financières. Cette conséquence du mode de scrutin uninominal à un tour est notamment expliquée par la loi de Duverger qui défend que celui-ci favorise le bipartisme plutôt que le multipartisme. Seulement, est-ce que le possible retour du bipartisme signifie qu’une réforme du mode de scrutin est inutile?

À mon avis, une réforme du mode de scrutin reste utile et même nécessaire. Étant donné la divergence des opinions québécoises sur plusieurs questions de société, tels que l’interventionnisme de l’État, la laïcité ou le bilinguisme, il est dorénavant plus que vital que nos voix soient justement représentées. À titre d’exemple, la CAQ, élue minoritairement en 2018 aussi, a adopté la loi 21 en juin 2019 qui interdit les travailleurs de l’État de porter des signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions. Cette loi cible injustement les minorités religieuses dont les individus de confession juive, musulmane ou sikhe qui avouent être victimes d’autant plus de crimes et d’accidents haineux depuis l’adoption de cette loi. Malgré les nombreux militants québécois qui s’opposent à la loi 21 en organisant de multiples manifestations ou en circulant des pétitions afin de retirer cette loi, celle-ci reste établie. La CAQ est parvenue à adopter une loi discriminatoire qui nuit à une proportion importante des Québécois sans même remporter la majorité des votes! C’est-à-dire que, même si nous remplissons notre devoir de citoyens en exerçant justement notre droit de vote, nos désirs politiques sont souvent ignorés à cause de notre mode de scrutin actuel. De plus, prenant en compte la variété des opinions au sein de la société québécoise, le système de multipartisme, qui risque d’éventuellement disparaître si nous conservons notre mode de scrutin, propose des partis politiques diversifiés nous octroyant le privilège de voter pour celui qui suggère des projets qui nous conviennent le mieux en évitant qu’on ait à les renoncer. Le mode de scrutin proportionnel mixte permettra, non seulement que nos voix soient justement représentées à l’Assemblée nationale, mais que le multipartisme persiste d’exister.

De ce fait, c’est à nous, les électeurs québécois, de nous mobiliser pour enfin assurer une réforme de notre mode de scrutin. Voulons-nous continuer à être ignorés par notre mode de scrutin anti-démocratique ou sommes-nous prêts à faire entendre nos voix?

Edité par Augustin Bilaine

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