La question des statistiques ethniques : Entre utilité et controverse

La question des statistiques ethniques : Entre utilité et controverse

Les statistiques ethniques sont des données mesurées lors des recensements de population afin de quantifier les proportions des différentes ethnies présentes dans un pays. Ces statistiques sont utilisées depuis plus d’un siècle, dans des États comme les Pays-Bas, le Canada ou encore le Brésil, mais elles demeurent également interdites dans de nombreux autres. Toutefois, que celles-ci soient légalisées ou non, l’utilisation de ces statistiques est débattue. En effet, ces statistiques font l’objet de controverses en raison de la nature de ce qu’elles mesurent :  l’hétérogénéité ethnique d’une population. 

Elles peuvent ainsi se retrouver en désaccord avec les valeurs d’un pays de par le symbole qu’elles renvoient, comme en France où la mesure de la diversité présente au sein de sa population fait débat depuis les années 1970. Ces statistiques posent donc une question identitaire, mais aussi politique plus large, de par l’absence de certaines catégories ethniques dans le questionnaire. Le cas des États-Unis où des groupes ethniques minoritaires militent afin de voir leur ethnie reconnue sur les statistiques en est un exemple actuel. 

En France : Des statistiques contre le principe constitutionnel d’égalité?

Les statistiques ethniques en France ont fait l’objet de plusieurs régulations et législations. D’abord, c’est avec la loi informatique et libertés de 1978 qu’elles sont autorisées dans la mesure où elles bénéficient d’une dérogation à l’Article 6 de cette dite loi stipulant qu’il est « interdit de traiter des données à caractère personnel qui révèlent de la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique ». Mais, c’est ensuite en 2007 et malgré cette dérogation que le Conseil constitutionnel met fin à la collecte de données relevant de l’ethnie, ayant jugé sa nature contraire à la Constitution française et notamment à son Article 1 stipulant que « [la France] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». 

Cette décision a pour conséquence de raviver les débats auxquels des statisticiens comme Michèle Tribalat participent. Pour elle, l’interdiction des statistiques ethniques n’est qu’une excuse utilisée pour masquer la question sociale de la réalité et des discriminations vécues par les minorités ethniques en France. Dans le camp opposé, Hervé Le Bras assure que les statistiques ethniques ne seraient qu’une porte ouverte au communautarisme, où chaque français qualifierait son ethnie de composante centrale à son identité. Le Bras affirme également que ces statistiques pourraient renforcer l’implémentation de mesures de discriminations positives, qu’il voit comme inégalitaires (en partant de la perspective qu’un citoyen de l’ethnie majoritaire d’un pays ne recevrait pas les mêmes aides qu’un citoyen de l’ethnie minoritaire du même pays pour le même statut socio-économique en raison de son appartenance à un groupe ethnique favorisé par le pays). Enfin, les deux camps s’accordent sur le danger de l’instrumentalisation des statistiques ethniques, mais leurs causes diffèrent.   Pour ses détracteurs, les données pourraient être utilisées par des groupes politiques à des fins de lobbying. Pour ses partisans, l’absence de ces mêmes statistiques est dangereuse et peut elle-même être instrumentalisée, dans la mesure où le manque de données pourrait causer une estimation des nombres de certaines minorités en France sans que celles-ci soient fondées ni puissent être vérifiées. À ce sujet, Michèle Tribalat mentionne notamment la réception de son estimation de la population musulmane en France en 2016, ayant surpris de par son nombre plus faible que celui qui avait été imaginé par beaucoup. 

Aujourd’hui, les statistiques ethniques sont donc toujours interdites en France, mais des mesures dites plus « objectives » restent disponibles afin de pouvoir collecter des données sur la population. Par exemple, il est possible de demander le pays de naissance d’une personne et de ses parents ou encore son « ressenti d’appartenance ». Grâce à ces possibilités, l’Institut national d’études démographiques (INED) a notamment réalisé en 2016 une grande enquête liée à l’immigration, mais aussi aux discriminations auxquelles les français font face, mais cela toujours sans mentionner directement le mot « ethnie ».  

Aux États-Unis : Une séparation ethno-raciale incompatible avec l’identité de sa population ?

Aux États-Unis, ce débat de la légitimité et de la légalité des statistiques ethniques semble quant à lui résolu. En effet, ces données sont partie intégrante du recensement décennal du United States Census Bureau, un recensement démographique, utilisé notamment pour la distribution de fonds et d’assistance de l’État ou encore la construction d’infrastructures publiques comme les écoles. Malgré son rôle qui semble central à la société états-unienne, ce recensement est controversé, au cœur du débat : l’utilisation des concepts d’ethnies et de races ainsi que le nombre réduit de catégories proposées. 

La première source du débat est l’utilisation dans le recensement de la différenciation des concepts d’ethnie, défini sur le recensement comme une culture (langue, héritage, etc.), mais aussi de race, défini comme un ensemble de caractéristiques physiques. Le recensement reconnaît cinq races : les Blancs (comprenant ici les descendants d’Européens, les Nord-Africains et les personne issues du Moyen-Orient), les Noirs ou Afro-Américains, les Premières Nations, les Asiatiques et les natifs des îles Pacifique (les Hawaïens, par exemple). Au contraire, le concept d’ethnie n’est quant à lui présent que pour une catégorie sur le recensement; celle des Hispaniques ou Latinos, qui ne sont pas considérés comme une race distincte en raison de la diversité raciale du groupe. Mais, cette division du recensement en deux concepts, la race et l’ethnie, a des répercussions pour la collecte de données des personnes mixtes et rend certains résultats disproportionnés. En effet, si le recensement offre l’option de sélectionner plusieurs races et ainsi d’indiquer des origines mixtes, la même chose n’est pas appliquée à l’ethnie, qui ne peut être répondue que par « oui » ou « non ». Ainsi, une personne s’identifiant comme à moitié hispanique ne pourra pas l’indiquer sur le recensement, ayant pour conséquence de ne pas permettre la différenciation entre les personnes s’identifiant entièrement comme hispanique et les personnes s’identifiant avec plusieurs origines. 

Outre la critique de la définition des termes des catégories proposées, les détracteurs de ce recensement condamnent également le faible nombre de races et ethnies proposées. Par exemple, les personnes s’identifiant comme originaires du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) sont reconnues comme Blancs. En ne proposant pas une catégorie à part pour les habitants originaires de la région MENA, les discriminations qu’ils rencontrent ainsi que leur identité ethno-raciale ne sont ni reconnues ni prises en compte. Afin d’encourager l’ajout du groupe sur le recensement, des recherches sont aujourd’hui menées sur le sentiment d’appartenance des descendants de la région MENA, sur leurs expériences, mais aussi sur la perception que les autres membres de la société états-unienne ont d’eux. Ainsi, il a été démontré que les personnes s’identifiant comme « blanches » vivant aux États-Unis ne considèrent les traits, les noms ou encore les religions des personnes originaires de la région MENA comme caractéristiques de la catégorie « blanche », sentiment partagé par les Nord-Africains et les personnes issues du Moyen-Orient, ayant tendance à se considérer eux aussi comme descendants de la région MENA et non comme Blancs. Il a également été démontré que les personnes originaires de MENA sont plus susceptibles de vivre en dessous du seuil de pauvreté, de décéder plus jeune et d’être locataire plutôt que propriétaire de leurs logements. Ainsi, il semble être nécessaire d’ajouter cette catégorie ethno-raciale au recensement, mais ici encore, les statistiques ethniques peuvent être utilisées comme objet d’instrumentalisation. Certains affirment ainsi que la catégorie MENA ne sera pas créée, car sa catégorisation avec les Blancs sert d’outil politique; premièrement, elle empêche de recenser les discriminations, mais aussi, elle permet de maintenir des données élevées pour la population blanche recensée, données qui baisseraient donc considérablement et deviendraient peut-être même minoritaires si les personnes du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord y étaient soustraites.

 

Édité par Jo-Esther Abou Haidar

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