L’échec du référendum autochtone australien : Ce qu’il se cache derrière les camps « oui » et « non »

L’échec du référendum autochtone australien : Ce qu’il se cache derrière les camps « oui » et « non »

Le 14 octobre, les Australiens sont partis voter pour « The Voice Referendum » dont le but était d’établir une « voix » parlementaire constitutionnellement reconnue dont bénéficieraient  les peuples autochtones. Les Premières Nations représentent 3.8% de la population australienne, distinguée entre Aborigènes et Insulaires du détroit de Torres, eux-mêmes englobant des centaines de groupes, chacun possédant leur langue, histoire et traditions. Le 14 octobre, c’est à plus de 60% que les Australiens ont voté non pour altérer la constitution en y incluant « la Voix ».  

De par sa nature et le fait que l’Australie n’avait pas voté pour un référendum depuis plus de 20 ans, le débat a fait rage pendant les six mois entre l’annonce du vote et le vote lui-même. La société australienne s’est polarisée, non seulement entre le camp du « oui » et le camp du « non», mais également au sein même de ces camps. 

Le camp du « oui »

Les défenseurs du « oui » ont argumenté que ce référendum permettrait d’améliorer concrètement la vie des Premières Nations présentes depuis 65 000 ans sur le territoire. La Voix aurait pris la forme d’un organe consultatif indépendant, composé de membres choisis par des Premières Nations issues de communautés de toute l’Australie. Elle aurait ainsi pu fournir des conseils ciblés qui auraient abouti à de meilleurs résultats qu’actuellement. En effet, le gouvernement possède déjà le pouvoir de légiférer dans les juridictions de peuples autochtones théoriquement souverains, mais ces lois restent partielles et insuffisantes face à l’ampleur du problème. En Australie, les Premières Nations sont le groupe le plus défavorisé et le plus marginalisé du pays, ce qui est visible dans tous les secteurs de la société. Les autochtones sont deux à trois fois plus pauvres que les non-autochtones, ont un taux de chômage deux fois plus élevé, représentent un tiers des personnes emprisonnées dans le pays et ont une espérance de vie inférieure d’environ 20 ans du fait d’une prévalence plus importante de handicaps et maladies chroniques. Ainsi, l’organe consultatif qu’aurait formé la Voix aurait permis de faciliter la recherche de solutions adaptées pour réduire les inégalités dans la société australienne.  

Le camp du « non » conservateur

La campagne du camp contre la Voix a été marquée par l’utilisation d’informations trompeuses et la diffusion de fake news. The Guardian, avec son outil de fact-checking, dénonce une campagne appuyée sur la peur et le doute des électeurs plutôt que sur des faits. L’argument principal, prôné par le slogan « Si tu ne sais pas, vote non » (“If you don’t know, vote no”), était le manque de détails concrets quant à l’implémentation de la Voix. En effet, des questions se sont posées sur l’éligibilité des personnes de la Voix, le coût de ce nouvel organe, sa responsabilité et plusieurs autres questions pratiques qui ont pu effrayer certains électeurs. Le but était d’utiliser ce présupposé manque de précision pour faire douter les électeurs et les inciter à voter « non » plutôt que de chercher les réponses. Il s’avère que le référendum avait pour objectif d’inscrire ce nouvel organe dans la constitution et non de définir les détails de son fonctionnement interne, objet de discussion hors aspect constitutionnel. Ainsi, le « non » conservateur était en réalité surtout porté par un certain nombre d’Australiens pensant que les Premières Nations bénéficient déjà de privilèges, et que la Voix aurait instauré un « privilège racial » en donnant une influence singulière aux autochtones sur les décisions gouvernementales.  

Le camp du « non » progressiste

Le « non » était également porté par des Australiens persuadés que ce référendum n’était pas la bonne solution au problème. Largement porté par la sénatrice aborigène Lidia Thorpe, le mouvement défendait que la Voix n’aurait été qu’un organe consultatif impuissant et n’était que le résultat d’une manœuvre du gouvernement pour faire croire à de réels progrès sans réels changements. En effet, le premier ministre avait réfuté l’idée que la Voix pourrait prendre la forme d’une troisième chambre au côté de la Chambre des représentants et le Sénat. Elle ne serait restée qu’un outil consultatif sans droit de veto ni de rôle décisionnel en matière de législation et n’aurait pu apporter davantage que des représentations auprès du Parlement et du gouvernement. Lidia Thorpe résume ainsi que la Voix « ne propose rien d’extraordinaire, mais transpose les principes existants en matière de droits de l’Homme dans le contexte des Premières Nations ».  

À la place de ce référendum, le camp « non » progressiste fait pression pour une reconnaissance du passé violent de l’Australie, la mise en œuvre intégrale des recommandations de la commission royale de 1992 sur les décès des Aborigènes, du rapport de 1997 « Bringing Them Home » sur les générations volées. Surtout, ce camp demande l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, contre laquelle le gouvernement avait voté en 2007.    

Le référendum de la Voix est donc un échec pour le gouvernement australien qui n’a pas réussi à atteindre un consensus. Qui plus est, nombreux sont ceux qui notent que les discours haineux et la propagation de fake news ont aggravé l’intolérance et la division envers les Premières Nations, favorisant ainsi d’autant plus l’exclusion sociale. Le débat a donc mis en lumière la complexité du problème autochtone dans la société australienne et le manque d’action à la hauteur. Le camp de Lidia Thorp fait pression pour un oubli de ce référendum qui n’aura au final que servi à porter préjudice aux Premières Nations. 

Édité par Jeanne Arnould

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