Des délais injustifiés chez IRCC empêchent les non-Canadiens à voyager: Le témoignage d’un résident permanent

Des délais injustifiés chez IRCC empêchent les non-Canadiens à voyager: Le témoignage d’un résident permanent

Réfugiés ou résidents permanents, plusieurs d’entre eux ne peuvent pas voyager à l’étranger par manque du document de voyage. Pour les personnes réfugiées, protégées ou apatrides, leur liberté de mouvement dépend, soit d’un titre de voyage pour réfugiés soit d’un certificat d’identité. Il s’agit de la seule manière pour ces personnes de voyager à l’extérieur du Canada, n’ayant pas le droit d’utiliser les passeports de leur pays d’origine, et devant attendre l’obtention de la nationalité canadienne, et par conséquent, d’un passeport canadien. Ces titres de voyage sont donc une alternative, leur facilitant de voyager à l’extérieur du Canada. 

Les demandes sont déposées au bureau de l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), qui les traite dans un délai de 20 jours ouvrables. Cependant, depuis la sortie de l’urgence sanitaire de la pandémie de la COVID-19, des délais de traitement empêchent plusieurs personnes détenant le statut de réfugié ou de résident permanent à voyager. Les délais qui s’étaient prolongés pendant la pandémie, allant jusqu’à plus d’un an, sont restés inchangés même après la fin de la crise sanitaire. Selon IRCC, 6000 demandes déposées entre 2021 et 2022 n’étaient toujours pas traitées en novembre 2023, même si le bureau venait d’annoncer qu’il allait « maintenant respecter [ses] normes de service pour les demandes soumises le 1er février 2023 ou après cette date », soit 20 jours ouvrables. Si plus de 6000 demandes restaient non traitées jusqu’à novembre 2023, les personnes en attente depuis février 2023 témoignent de l’inconsistance entre le discours politique et ce qui se passe en pratique. Les personnes qui sont en attente depuis 2021-2022 se demandent pourquoi leurs requêtes ne seraient pas propriétaires. C’est le cas de Michel, qui garde l’anonymat pour ne pas nuire à sa demande toujours en cours. 

Le cas de Michel

Étudiant à l’Université McGill en développement international, Michel a déposé sa demande le 4 juillet 2022, en espérant obtenir le document qui lui permettrait de participer au programme de solidarité internationale de Québec sans frontières, qui s’est déroulé au Togo à l’été 2023. 

« Je n’ai pas eu de réponse de l’immigration même après une année, j’ai alors décidé de déposer une deuxième demande le 4 juillet 2023 ». Michel n’est pas la première personne qui a décidé de faire une deuxième demande après l’inachèvement de la première, comme en témoignent d’autres résidents permanents dans un article paru en décembre 2023 dans Le Devoir. Ainsi, certains réfugiés déposent plusieurs demandes même s’ils n’ont aucun voyage prévu, puisqu’ils savent à quel point le processus peut être long. 

Michel a lui aussi déposé une deuxième demande après sa sélection par l’Université de McGill dans un programme d’études et de recherche qui se déroule chaque hiver au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie. « J’appelais l’immigration presque toutes les semaines pour leur mentionner à quel point c’était important pour moi, pour mes études », rapporte Michel qui est aussi originaire de l’Ouganda. Il poursuit : « J’avais aussi cru que c’était une occasion pour voir ma famille pendant les fêtes de Noël et de Nouvel An, mais tout ça est tombé à l’eau. Pire encore, ça fait 27 jours que tous les autres étudiants sont partis, le programme a déjà débuté, et moi, je suis encore ici, impuissant, résigné à écouter la déception dans la voix de mes sœurs au téléphone, que je n’ai pas vues depuis quatre ans ». 

Deux ans d’attente, toujours pas de réponse

Michel n’a pas pu se rendre en Afrique de l’Est, puisque jusqu’à ce jour, les services d’immigration n’ont toujours pas traité sa demande. Le cas de Michel met en lumière l’injustice persistante du processus de demande de document de voyage pour les réfugiés, soulignant le non-respect par le gouvernement du Canada de son obligation de les protéger.

Après la deuxième demande du 4 juillet 2023, Michel a reçu en août un chèque provenant du bureau de passeports du gouvernement canadien : un remboursement de 120$ pour la première demande non traitée. Avec ce chèque, le bureau de l’IRCC reconnaissait que non seulement la première demande n’était pas encore traitée, mais qu’il était aussi en possession de la deuxième. Après de multiples appels et courriels de la part de Michel, il reçoit, le 21 novembre 2023, un courriel de l’IRCC indiquant que sa photo passeport n’était pas signée par sa répondante, la personne responsable d’authentifier son identité selon les exigences du gouvernement. Il lui est donc demandé de prendre une nouvelle photo, de la signer et de la renvoyer. Étant convaincu que la photo était effectivement signée, il a appelé l’immigration en présence de la signataire de ladite photo. « L’agent au téléphone a fait remarquer que la photo était simplement introuvable dans mon dossier », a expliqué Michel remarquant aussi des inconsistances et contradictions de la part du bureau : « D’abord la photo n’est pas signée, et puis, la photo est simplement introuvable ». 

Le traitement des passeports pour les Canadiens  

Les bureaux qui traitent les demandes de document de voyages pour les réfugiés ne sont pas accessibles, même pas par rendez-vous. « Nous n’avons même pas le droit de parler aux personnes qui traitent nos demandes, comment seront-ils au courant des situations que nous vivons ? », poursuit-il. Seuls les bureaux traitant les passeports pour les citoyens canadiens sont ouverts au public, par rendez-vous. Pour les passeports, des demandes peuvent même être déposées en personne et dans n’importe quel centre de service dans tout le pays, contrairement aux titres de voyage pour réfugiés et résidents permanents dont les demandes doivent obligatoirement être envoyées par la poste, au centre de Gatineau, le seul centre où tous les formulaires de tout le pays sont envoyés. 

Le Canada a des obligations légales envers les réfugiés

La loi canadienne reste imprécise sur la question de la circulation internationale des réfugiés et des résidents permanents. Ces derniers ont le droit de se déplacer dans tout le pays et d’établir leur résidence dans la province de leur choix, selon la disposition qu’on trouve dans l’Article 6 (2.a) de la Charte canadienne de droits et libertés portant sur la liberté de circulation et d’établissement. Toutefois, en ce qui concerne la circulation à l’extérieur des frontières canadiennes, la disposition 6 (1) du même article, qui fait référence à la circulation internationale, ne s’applique qu’aux citoyens canadiens. La libre circulation, qui est reconnue à toute personne dans l’Article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et dont le Canada est signataire, reste toujours limitée et même omise pour certaines personnes vivant à l’intérieur du Canada, parmi lesquelles les réfugiés détenant la résidence permanente. Le Canada a reconnu ses obligations légales spécifiquement aux réfugiés en signant la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. L’article 28 (1) de cette convention oblige tous « les États contractants [à délivrer] aux réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire des titres de voyage destinés à leur permettre de voyager hors de ce territoire à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ou d’ordre public ne s’y opposent […] ». 

L’expérience de Michel illustre le manque de responsabilité observé aujourd’hui dans l’organisation hiérarchique des services publics. Malgré les inconsistances dans la bureaucratie étatique et le non-respect des droits garantis aux individus par des traités internationaux, le gouvernement canadien opère dans des conditions structurelles lui permettant de se détacher complètement de sa responsabilité. Toutefois, un système garantissant l’obligation de rendre des comptes est essentiel, non seulement pour un pays qui prône le respect de droits humains, mais aussi pour les personnes comme Michel. 

 

Édité par Solène Mouchel

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