Le double jeu de la société Québécoise face à ses immigrants

Après la prise de pouvoir de Duvalier, on constate que la population haïtienne cherche à quitter l’île d’Hispaniola et se répartit dans un certain nombre de villes concentrées où la diaspora est déjà implantée telles que Miami, New York, Paris et Montréal. Le contexte spécial de Montréal grâce a l’attrait de la langue comme vecteur d’intégration a fait de la ville un choix logique d’immigration. De plus, il ne faut pas oublier que le Canada adopte le système d’immigration à point en 1967. En se basant sur des critères autre que l’ethnicité, on observe une ouverture des flux de l’immigration des pays du Sud vers le Canada.

Or, les immigrants Haïtiens de Montréal se retrouvent pris au piège entre deux sociétés qui les rejettent. D’un côté, la société haïtienne a évolué et ils ne sont plus considérés comme suffisamment “Haïtiens” par leurs pairs de par de leur immigration qui peut être vue comme une trahison. De l’autre, la société québécoise, malgré son discours d’ouverture qui prône l’intégration par la langue française et le travail, ne parvient pas à accepter leur identité et conditions. L’ironie du sort est que le rejet de la société québécoise à accepter l’identité des immigrants haïtiens retarde leur intégration au sein du Québec.

Ainsi, on constate que le cas du racisme envers les Haïtiens dans l’industrie du Taxi démontre que, malgré le fait qu’ils remplissent tous les critères des différentes agences d’immigration, tels que le fait d’être francophone ou travailleur, les Québécois d’origine haïtienne sont systématiquement rejetés par la société québécoise.

 

La première vague d’immigrés, arrivée au début des années 1960 avec la répression Duvalière, représente les strates de la société haïtienne les plus éduquées et venant de milieux socio-économiques privilégiés. On peut ainsi dresser un portrait de l’intersectionnalité de cette communauté haïtienne issue de la première vague d’exilés. Ces derniers sont des activistes politiques, bien éduqués, ayant une bonne connaissance du français et exerçant des métiers libéraux à une période où le Canada traverse une grave pénurie de main d’œuvre qualifiée. On peut ainsi supposer que cette première communauté haïtienne fait face à moins de barrières à l’entrée pour s’intégrer dans la société québécoise. Or, il est important de noter que, malgré le statut socio-économique de cette communauté, elle n’en est pas moins victime de racisme anti-noir. Le parallèle entre les deux luttes, celle de la revolution tranquille d’une part et de la souveraineté haïtienne face aux ingérences étrangères, démontre une compréhension de la question nationale et de l’identité québécoise de la part de la communauté intellectuelle haïtienne issue de l’exil politique.

 

La deuxième vague d’immigration haïtienne arrive à Montréal à partir des années 1970 lorsque la répression Duvalière se durcit. L’autre variable qui mène à une nouvelle vague d’immigration est le changement des lois d’immigration du Canada avec un nouveau modèle qui prône le multiculturalisme et la création d’un “État sans races.” Ces évolutions changent la donne et attirent une toute nouvelle population haïtienne qui était jusqu’ici reléguée au second plan. Cette population immigrante est l’opposée de la première vague, étant d’origine populaire et peu éduquée. De plus, cette nouvelle population parle majoritairement le créole et sa connaissance du français est limitée, entravant son intégration dans la société québécoise. Cette deuxième population est vue d’un œil méfiant, car de par leur origine socio-économique, elle est considérée comme une menace aux emplois peu qualifiés historiquement tenus par les “Québécois de souche”, pour ainsi dire les québécois d’ascendance blanche, catholiques et prolétaires. 

 

Depuis les années 1980, on constate l’émergence d’une troisième communauté haïtienne à Montréal. Cette dernière n’est pas issue directement de l’immigration, elle a été éduquée au Québec et a grandi en parlant le français. Cette deuxième génération d’immigrés  entretient un différend par rapport au “pays natal” qu’est Haïti et un attachement communautaire qui est double. Ce tiraillement identitaire est d’autant plus renforcé que ces personnes s’identifient comme montréalaises et non québécoises. Cette nouvelle génération est vue d’un mauvais œil par leurs aînés qui les considèrent comme rejetant leur identité haïtienne. En effet, cette communauté a délaissé le créole qui est souvent vu comme un poids qui ralentit leur intégration socio-économique. En effet, le créole est associé aux classes populaires peu éduquées tandis que le Français jouit d’un statut de langue “académique.” De plus, la nouvelle génération s’identifie plus avec la communauté noire au sens large qu’à une identité spécifiquement haïtienne.

 

Malgré les différents niveaux d’intégration dans la société québécoise et leurs divisions, les trois communautés haïtiennes ont toutes été impactées par la crise des Taxis en 1983. 

L’arrivée des Haïtiens dans l’industrie du Taxi mène à des tensions raciales dans l’industrie dès la fin des années 1978. Les tensions causées par la montée du racisme ont causé de nombreux incidents qui ont apporté une visibilité médiatique sur la précarité des chauffeurs de Taxis haïtiens. La crise des taxis démontre un profond problème dans la société québécoise qui touche le public et les médias de manière différente. 

La crise des taxis de 1983 s’inscrit dans un plus grand contexte de discrimination anti-noir auquel les Québécois d’origine Haïtienne font face. En effet, en mars 1983 les Haïtiens ont même été exclus des collectes de sang car la communauté noire de Montréal est associée au VIH. Ainsi, même s’il n’y a pas de liens scientifiques entre la communauté haïtienne, cette dernière fut considérée comme porteuse du SIDA et fut exclue des dons de sang sur des propos racistes. 

De plus, les chauffeurs de Taxis, qu’ils soient noirs ou blancs, font face à une forte précarité économique. En effet, le travail de voiture de transport avec chauffeur (VTC) est souvent vu comme un tremplin avant d’accéder à un meilleur emploi et de s’élever de manière socio-économique. Les années 1980 sont une période de crise économique et la société québécoise, qui n’est donc plus en manque de main d’œuvre, voit d’un mauvais œil ces nouveaux immigrés qui ne parlent pas le français aussi bien et ne sont pas suffisamment éduqués pour trouver des emplois bien payés. Un marasme ambiant se développe et dans lequel se forment des idées selon lesquelles les Haïtiens seraient un poids sur le système de sécurité sociale québécois. Cet héritage de la Révolution Tranquille est considéré comme étant sous attaque à cause de la culture différente de la diaspora Haïtienne. Certains médias font ainsi le rapprochement entre l’immigration haïtienne et la menace potentielle qu’elle pourrait poser au projet national et à l’héritage de la Révolution Tranquille. De là, le raccourci entre précarité économique, menace au Québec et racisme anti-noir est clair.

La crise des taxis a fini par remonter jusqu’au système judiciaire qui a pris une décision en exigeant une compensation de la part des entreprises pour les chauffeurs. Malgré le fait que la justice reconnaît que les chauffeurs locuteurs de créole étaient visés par les mesures discriminatoires, le jugement ne retiendra pas la cause de racisme. En effet, la justice considère que les remarques faites aux chauffeurs par leurs employés sont des remarques erronées et injustifiées et que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu. Le manquement de reconnaissance de l’enjeu de racisme anti-noir pour se focaliser sur les enjeux de droit d’expression et économique démontre pleinement l’hypocrisie de la société Québécoise et Canadienne face à ses immigrants. Alors que le Canada se déclare souvent comme une société “sans races” notamment lorsque cette dernière se compare à son voisin États-Unien, la société Canadienne est en effet une société qui est consciente des races. De par leur timidité à discuter des enjeux autour du racisme, la politique migratoire et d’intégration Québécoise est incapable de reconnaître le fait que la connaissance du français est un outil de discrimination. 

 

Ainsi, on constate que la diaspora haïtienne à Montréal peut être divisée entre trois grandes communautés. La première est constituée d’intellectuels francophones dont l’assimilation dans la société québécoise, facilitée par leur statut privilégié au niveau socio-économique, s’est opérée au détriment de leurs liens avec le pays natal. La seconde communauté haïtienne est rejetée par la société québécoise de par son statut socio-économique, son manque d’aisance en français, mais aussi à cause du racisme ambiant qui est d’autant plus visible dans une période de crise économique. La troisième communauté haïtienne a grandi à Montréal et se sent pleinement intégrée, elle est consciente des enjeux de race qui prévalent toujours au-dessus des différends sur les enjeux linguistiques ou de classe. 

Alors que les immigrants haïtiens remplissent tous les critères nécessaires en termes de “désirabilité,” ils sont toujours victimes d’instrumentalisation politique et de racisme par les différents acteurs politiques et médiatiques. Le cas d’étude de la crise des Taxis démontre à quel point la société québécoise ne parvient pas à saisir les enjeux intersectionnels de race, langue et classe auxquels les Haïtiens font face à Montréal. Les Haïtiens sont une vitrine de l’hypocrisie de la société québécoise face à ses immigrants. Alors que cette dernière se vante d’être une société ouverte qui met l’enjeu linguistique avant tout, elle éclipse les enjeux de racisme. Malgré des avancées dans le discours politique et sociétal notamment au niveau local, il est primordial que le gouvernement reconnaisse le racisme systémique de ses institutions coloniales avant de pouvoir les réformer.

Edité par Jeanne Arnould

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