Le duel des géants : Pétroyuan menace l’hégémonie du pétrodollar

Le duel des géants : Pétroyuan menace l’hégémonie du pétrodollar

Le pétrole, souvent qualifié d’« or noir », occupe une place centrale dans la géopolitique mondiale. Sa maîtrise et son contrôle déterminent non seulement la prospérité économique d’un pays, mais aussi son influence et sa puissance sur la scène internationale. La monnaie utilisée pour les transactions pétrolières joue un rôle crucial dans cette dynamique. En contrôlant la monnaie pétrolière, un pays peut exercer une influence considérable sur les marchés mondiaux, renforçant ainsi sa position géopolitique. Cette dominance monétaire lui permet d’imposer des conditions commerciales, de naviguer à travers des sanctions économiques et de manipuler les flux financiers à son avantage. 

Depuis les années 1970, le dollar américain domine les transactions pétrolières internationales, établissant fermement le système de pétrodollar. Lorsque le président Nixon met fin à la convertibilité du dollar en or, il conclut un accord avec l’Arabie saoudite en 1979 pour maintenir la demande mondiale de dollar : Riyad s’engage à vendre son pétrole exclusivement en dollars et à réinvestir ses revenus dans des actifs américains. En retour, les États-Unis offrent des garanties de sécurité à l’Arabie saoudite. Cet accord, qui a été par la suite étendu à d’autres membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), a solidifié la position du dollar comme monnaie dominante des échanges pétroliers mondiaux. Toutefois, plusieurs événements récents ont entamé cette dynamique. 

Premièrement, l’importation américaine de pétrole saoudien a nettement diminué, passant de 2 millions de barils par jour dans les années 1990 à 500 000 barils par jour en 2021. Deuxièmement, l’administration Biden a modifié sa politique au Moyen-Orient, s’éloignant de l’Arabie saoudite, notamment en ce qui concerne le conflit au Yémen et l’accord nucléaire avec l’Iran.

Parallèlement, l’Arabie saoudite a renforcé ses liens avec la Chine, s’étendant bien au-delà du secteur énergétique. Les investissements chinois en Arabie ont atteint 43 milliards de dollars en 2021, et la Chine représente 25% des exportations mondiales de pétrole du Royaume. D’autres pays du Golfe, tels que les Émirats arabes unis, suivent une tendance similaire, tout comme des nations comme la Russie et l’Iran, qui ont également renforcé leurs relations avec l’Asie et se sont éloignées du dollar dans leurs transactions pétrolières.

Cette évolution des alliances et des préférences commerciales pourrait à terme remettre en question la suprématie du pétrodollar. Un déclin du dollar dans le commerce mondial pourrait inciter de nombreux pays à reconsidérer leurs réserves en devises et à réduire leur dépendance à l’égard des obligations du Trésor américain. Les États-Unis en sont conscients et ont envisagé des mesures, comme le projet de loi NOPEC, pour contrer ces évolutions. Toutefois, avec les sanctions actuelles contre la Russie et l’influence croissante de la Chine, l’ère du pétrodollar pourrait graduellement s’acheminer vers sa fin et le pétroyuan semble gagner du terrain.

Viktor Katona, analyste principal du pétrole brut chez Kpler, affirme que la Russie est désormais « une nation asiatique » qui a introduit le yuan dans le commerce pétrolier à grande échelle. Pour lui, il serait naïf de penser que la Chine, avec son contrôle croissant sur le commerce pétrolier, ne chercherait pas à influencer les prix du pétrole et à privilégier sa propre monnaie.

La récente visite du président chinois Xi Jinping en Arabie saoudite a été un autre jalon significatif. En encourageant les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à adopter le Shanghai Petroleum and National Gas Exchange pour leurs transactions énergétiques en yuan, Xi Jinping a renforcé l’idée que le pétroyuan pourrait éventuellement remplacer le pétrodollar. D’ailleurs, les accords commerciaux d’une valeur de plus de 30 milliards de dollars signés lors de cette visite témoignent de l’ampleur des ambitions chinoises.

L’analyste de Credit Suisse, Zoltan Pozsar, a même qualifié cette visite de « naissance du pétroyuan ». Il a souligné que la Chine souhaite “dédollariser” certaines parties du monde, en réponse à l’utilisation du statut dominant du dollar contre des nations comme la Russie.

Alors que le pétrodollar demeurera probablement dominant à court terme, le pétroyuan est clairement sur une trajectoire ascendante. Comme l’a souligné Katona, la politique de la Chine en matières premières met l’accent sur un contrôle strict, renforçant ainsi sa mainmise sur les marchés énergétiques. À mesure que le pétroyuan gagnera en popularité, de nombreux pays asiatiques pourraient être contraints de reconsidérer leurs routines commerciales, ajoutant une nouvelle dimension à la pétropolitique mondiale.

Aujourd’hui, face à l’interdépendance économique mondiale, la diversification monétaire est essentielle. Une surconcentration d’actifs étrangers en dollars américains pourrait entraîner des conséquences nuisibles à grande échelle. Actuellement, nous ne sommes pas témoins d’une tentative immédiate de remplacer le dollar américain par le yuan chinois dans les transactions internationales. Au contraire, c’est une transition progressive où le yuan est de plus en plus utilisé, en particulier dans les transactions où l’économie chinoise joue un rôle prédominant. Cette mutation s’appuie sur la multiplication des transactions bilatérales entre la Chine et d’autres pays, s’opérant pas à pas, transaction par transaction. Le pétroyuan chinois érode ainsi progressivement la place du pétrodollar américain.

Néanmoins, un éventuel manque de confiance des investisseurs dans le dollar, qu’il soit dû à une crise de la dette américaine, à une erreur majeure de politique intérieure ou extérieure, ou à des tensions politiques internes accrues, pourrait accélérer ce déplacement du dollar. Dans un tel scénario, le mouvement vers d’autres monnaies ne serait plus simplement linéaire, mais pourrait devenir exponentiel et perturbateur, redéfinissant les équilibres monétaires mondiaux.

Édité par Jo-Esther Abou Haidar

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